Le Blog d'Olivier Da Lage

Golfe : en perte d’altitude, les altesses lâchent du lest

Posted in Moyen-Orient by odalage on 13 mars 2011

Le secrétaire américain à la Défense a appuyé là où ça fait mal : de passage à Manama samedi, Robert Gates a tenu à ses interlocuteurs de la dynastie Al Khalifa un langage qui ne leur laisse guère d’échappatoire : « Je leur ai dit que nous n’avons aucune preuve suggérant que l’Iran ait initié l’une ou l’autre des révolutions populaires ou des manifestations dans la région, a-t-il dit en évoquant ses entretiens avec le roi Hamad et le prince héritier Salman. Mais il y a des preuves tangibles que si la crise se prolonge, et tout particulièrement à Bahreïn, les Iraniens cherchent des moyens de l’exploiter et de créer des problèmes. Alors je leur ai dit : dans ce cas, le temps n’est pas votre allié ». Et Robert Gates d’enfoncer le clou : « Je leur ai dit que je ne pensais pas qu’il pouvait y avoir un retour à la situation d’avant dans la région (…) L’heure est au changement, et il peut être conduit, ou imposé. (…) Dans les circonstances présentes, (…) de petits pas ne seraient probablement pas suffisants (…). Une réforme réelle est nécessaire ». Pour que tout soit clair, le secrétaire à la Défense a également indiqué que le mouvement de révolte ne menaçait pas les intérêts américains à Bahreïn qui abrite le quartier général de la Ve flotte de l’US Navy.

Traduction libre : « ouvrez rapidement votre système politique à l’opposition, sinon, c’est l’Iran qui s’en chargera, ce qui ne fera ni vos affaires, ni les nôtres. Vous ne pourrez pas dire que vous n’avez pas été prévenus ».

Message reçu 5 sur 5 : le jour même, le prince héritier a relancé son appel au dialogue à l’adresse de l’opposition, indiquant que lorsqu’à l’issue du dialogue, ils seraient parvenus à un accord, cet accord serait soumis à référendum. Apparemment divisée sur la réponse à apporter, l’opposition continue cependant d’exiger la démission du gouvernement, et notamment du premier ministre, Cheikh Khalifa, en poste depuis 1971.

Non loin de là, au sultanat d’Oman, le sultan Qabous, au pouvoir depuis qu’il a renversé son père en 1970 et qui concentre presque tous les pouvoirs entre ses mains, a annoncé ce dimanche de confier au conseil consultatif « les pouvoirs législatifs et ceux de contrôle ». Parallèlement, le sultan a annoncé que d’ici un mois, une commission proposerait un amendement à la constitution  confiant les pouvoirs législatifs à l’assemblée consultative, qui, de ce fait, cesserait d’être simplement pour devenir législative. Si cette intention se concrétise – et Qabous parle rarement à la légère – c’est une véritable révolution dans ce pays, où l’information circule mal. C’est certainement l’indice que le sultan a pris la mesure du mécontentement de la population, que les quelques manifestations de ces derniers jours ne suffisent sans doute pas à caractériser, et que ce mécontentement doit être très profond. Car si les monarchies saoudienne, koweïtienne ou bahreïnie sont des oligarchies familiales, dans le cas d’Oman, il s’agit d’un véritable monarque, au sens premier du terme : le pouvoir procède d’un seul homme. Le changement annoncé n’en est donc que plus spectaculaire.

Reste que l’annonce des réformes et les largesses financières destinées à calmer les tensions sociales n’empêchent pas les pouvoirs en question de continuer à réprimer, ainsi qu’on l’a vu notamment en Arabie Saoudite et à Bahreïn. Conjuguer la carotte et le bâton demande un savoir-faire et un doigté dont ces monarchies n’ont pas toujours fait preuve. L’heure du choix est venu et le message, de Robert Gates était on ne peut plus clair : le temps des faux-semblants est passé.

Olivier Da Lage

2 Réponses

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  1. […] le roi de Bahreïn, cheikh Hamad Ben Issa Al Khalifa, et son fils Salman, le prince héritier, parlaient de dialogue et de réconciliation. À l’heure où ces généreuses paroles d’espoir étaient prononcées, ils ne pouvaient […]

  2. Frédéric said, on 14 mars 2011 at 11:49

    Concernant ses  »évolutions » politiques. Même si la Ligue Arabe à décider de condamner officiellement Kadhafi, le fait que celui ci commence à mater la révolte doit être vu d’un bon œil de la part de ses dirigeants à vie qui n’ont de fait strictement rien fait hâter une éventuelle intervention étrangère en Lybie. La victoire du Colonel pourrait être une douche froide pour les partisans du changement.


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