Le Blog d'Olivier Da Lage

Les contradictions de la politique indienne au Proche-Orient

Posted in Divers by odalage on 17 août 2015

Par Olivier Da Lage

Cet article est paru initialement le 17 août 2015 dans Orient XXI

Le premier ministre indien Narendra Modi se rend aux Émirats arabes unis les 16 et 17 août. La région du Golfe, où travaillent de nombreux ressortissants indiens, est cruciale pour l’approvisionnement énergétique de l’Inde. Et il se prépare, à la fin de l’année, à se rendre en Israël.

Cela faisait 34 ans, lorsque Indira Gandhi avait visité le pays en 1981, qu’un chef du gouvernement indien n’avait pas foulé le sol des Émirats arabes unis. Cette négligence apparente est surprenante quand on aligne quelques chiffres : les pétromonarchies du Conseil de coopération du Golfe (CCG) fournissent près de 45 % du pétrole importé par l’Inde, les expatriés indiens sont environ 7 millions dans la péninsule Arabique, 2,6 millions rien qu’aux Émirats arabes unis. Les transferts d’argent en provenance de ses ressortissants dans le Golfe rapportent annuellement à l’Inde six milliards de dollars.

Il aura donc fallu attendre plus d’un an après l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi en mai 2014 pour que celui-ci effectue son premier voyage au Proche-Orient. Sa première année a été consacrée à renforcer sa position dans son environnement proche (sous-continent et océan Indien), aux relations avec l’Extrême-Orient, l’Europe et les États-Unis.

Le calendrier de ce second semestre 2015 montre cependant que le Proche-Orient figure en bonne place dans l’agenda diplomatique du gouvernement indien. C’est ainsi que le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif était à New Delhi les 13 et 14 août : comme tant d’autres, l’Inde attendait avec impatience la conclusion de l’accord nucléaire devant entraîner la levée de toutes les sanctions contre l’Iran, à la fois marché potentiel pour l’économie indienne et fournisseur d’énergie (pétrole et gaz).

Rapprochement avec Israël

Mais le voyage le plus significatif est celui que Narendra Modi devrait effectuer à la fin de l’année en Israël : ce sera la première fois qu’un premier ministre indien se rendra dans l’État hébreu, alors même qu’Ariel Sharon, chef du gouvernement israélien à l’époque, avait visité l’Inde en septembre 2003. Un pays avec lequel le Bharatiya Janata Party (BJP) au pouvoir en Inde se sent de nombreuses affinités. L’histoire des relations indo-israéliennes est compliquée : l’Inde avait voté contre le partage de la Palestine à l’Assemblée générale de l’ONU en 1947, et si elle a reconnu Israël de jure en 1950, il faudra attendre 1992 pour que cette reconnaissance donne lieu à des échanges d’ambassades. Dans la tradition de Jawaharlal Nehru, le parti du Congrès — au pouvoir pratiquement sans interruption depuis 1947 — se veut à la fois non-aligné et soutenant les mouvements de libération comme l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).

C’est l’arrivée au pouvoir du BJP en 1998 qui donne un coup d’accélérateur au rapprochement avec Israël. La grille de lecture est alors : nous avons les mêmes adversaires (les musulmans), les mêmes amis (les États-Unis), et une coopération militaire discrète remontant aux années 1960. De fait, le retour au pouvoir du parti du Congrès en 2004 ne remet pas en question ce rapprochement israélo-indien qui se manifeste principalement dans le domaine militaire et celui de la haute technologie. Les nationalistes hindous du BJP et de la myriade d’organisations qui gravitent autour de lui ne font pas mystère de leur sympathie pour Israël au nom d’une communauté d’intérêts supposée contre les pays musulmans tandis que le gouvernement actuel, contre toute évidence, soutient que la politique indienne vis-à-vis des Palestiniens n’a pas changé.

L’«  Asie occidentale  »

Cette visite à venir de Narendra Modi aura en tout état de cause l’avantage de mettre fin à l’ambiguïté et à l’hypocrisie qui marquaient ces relations depuis plus d’une vingtaine d’années. Peut-être amènera-t-elle aussi l’Inde à clarifier sa politique au Proche-Orient. Car, aussi incroyable que cela puisse paraître, New Delhi n’a pas de politique proche-orientale, et encore moins de stratégie dans la région. Elle a, en fait, autant de politiques que d’interlocuteurs et essaie de se contredire le moins possible, mais cela ne fait pas une stratégie. Pour un pays qui ambitionne à raison une place de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, c’est un sérieux problème.

Pour commencer, les Indiens ont un problème avec le concept même de Proche-Orient. Ce terme européocentriste hérité de l’époque coloniale est rejeté par les analystes et politiques indiens qui lui préfèrent celui d’Asie occidentale. Peu importe d’ailleurs que l’Égypte, la Libye ou le Soudan — pays africains — soient inclus dans cette région. Cela explique peut-être en partie, mais pas seulement, pourquoi les gouvernements indiens n’ont jamais jusqu’à ce jour envisagé la région dans son ensemble ni formulé de stratégie globale.

En effet, l’Inde se voit à juste titre comme la puissance centrale du sous-continent indien et attend des puissances étrangères qu’elles la considèrent comme telle. Elle a défini des politiques séparées selon qu’elle traite avec l’Iran, les pays arabes du Golfe, Israël ou les Palestiniens. Pays anciennement colonisé, l’Inde tire sa fierté depuis l’indépendance en 1947 de son refus de toute ingérence (même si sa pratique est quelque peu différente chez ses voisins du Sri Lanka, du Bhoutan ou du Népal). C’est pourquoi, par principe, elle refuse de prendre position dans les différends entre pays tiers.

Non ingérence diplomatique

Tout récemment, dans la guerre du Yémen, l’Inde s’est illustrée en mettant sa marine au service de l’évacuation de ressortissants indiens et asiatiques du Yémen, mais a refusé de prendre position sur le bien-fondé des attaques de la coalition menée par l’Arabie saoudite. De même, l’Inde fait de son mieux pour traiter ses relations bilatérales avec l’Iran d’un côté, les pays arabes du Golfe de l’autre, comme si l’on pouvait faire abstraction des tensions entre ces derniers.

D’ailleurs, les relations diplomatiques de l’Inde avec les pays arabes sont aussi dépolitisées que possible. Cela tient en grande partie à la crainte, déjà évoquée, de retombées négatives sur les relations de New Delhi avec des pays tiers, mais aussi à la perception durable que les pays arabes du Golfe sont par principe favorables au Pakistan. Mais ce qui a été une réalité pendant des décennies l’est beaucoup moins aujourd’hui : d’une part, les pays du CCG reconnaissent le potentiel de l’Inde après l’avoir durablement sous-estimé  ; la longue visite effectuée en Inde en janvier 2006 par le roi Abdallah d’Arabie saoudite marque cette évolution. De l’autre, les pays du CCG prennent leurs distances avec le Pakistan, et le refus de ce dernier de soutenir l’opération saoudienne au Yémen au printemps 2015 n’a fait qu’accentuer ce refroidissement.

D’un point de vue de politique intérieure, régulièrement accusé de négliger les musulmans indiens, le gouvernement nationaliste hindou de Modi n’est pas fâché d’afficher de bonnes relations avec les États arabes musulmans du Golfe. D’un point de vue économique, ces mêmes bonnes relations sont une nécessité pour la croissance du pays et les investissements étrangers dont Modi a fait une priorité.

Depuis son accession au pouvoir en mai 2014, Narendra Modi s’est efforcé de redonner une cohérence à une diplomatie qui avait perdu en lisibilité depuis une trentaine d’années et l’essoufflement du Mouvement des non-alignés. En abordant ses relations avec les entités qui composent le Proche-Orient (Iran, pays arabes du Golfe, autres pays arabes, Israël et Palestine), la logique voudrait que le gouvernement que dirige Narendra Modi lui donne un cadre global et lisible. Son penchant personnel le porterait sans aucun doute vers un soutien franc à Israël. La prudence dont il a témoigné depuis son arrivée aux affaires et les traditions d’un appareil diplomatique indien rétif à l’idée de se mêler des conflits des autres laissent penser au contraire qu’il avancera sur cette voie avec circonspection.

Voir aussi :

L’Inde de Narendra Modi : quelle stratégie ?

La Modi-fication de l’Inde

Golfe : en perte d’altitude, les altesses lâchent du lest

Posted in Moyen-Orient by odalage on 13 mars 2011

Le secrétaire américain à la Défense a appuyé là où ça fait mal : de passage à Manama samedi, Robert Gates a tenu à ses interlocuteurs de la dynastie Al Khalifa un langage qui ne leur laisse guère d’échappatoire : « Je leur ai dit que nous n’avons aucune preuve suggérant que l’Iran ait initié l’une ou l’autre des révolutions populaires ou des manifestations dans la région, a-t-il dit en évoquant ses entretiens avec le roi Hamad et le prince héritier Salman. Mais il y a des preuves tangibles que si la crise se prolonge, et tout particulièrement à Bahreïn, les Iraniens cherchent des moyens de l’exploiter et de créer des problèmes. Alors je leur ai dit : dans ce cas, le temps n’est pas votre allié ». Et Robert Gates d’enfoncer le clou : « Je leur ai dit que je ne pensais pas qu’il pouvait y avoir un retour à la situation d’avant dans la région (…) L’heure est au changement, et il peut être conduit, ou imposé. (…) Dans les circonstances présentes, (…) de petits pas ne seraient probablement pas suffisants (…). Une réforme réelle est nécessaire ». Pour que tout soit clair, le secrétaire à la Défense a également indiqué que le mouvement de révolte ne menaçait pas les intérêts américains à Bahreïn qui abrite le quartier général de la Ve flotte de l’US Navy.

Traduction libre : « ouvrez rapidement votre système politique à l’opposition, sinon, c’est l’Iran qui s’en chargera, ce qui ne fera ni vos affaires, ni les nôtres. Vous ne pourrez pas dire que vous n’avez pas été prévenus ».

Message reçu 5 sur 5 : le jour même, le prince héritier a relancé son appel au dialogue à l’adresse de l’opposition, indiquant que lorsqu’à l’issue du dialogue, ils seraient parvenus à un accord, cet accord serait soumis à référendum. Apparemment divisée sur la réponse à apporter, l’opposition continue cependant d’exiger la démission du gouvernement, et notamment du premier ministre, Cheikh Khalifa, en poste depuis 1971.

Non loin de là, au sultanat d’Oman, le sultan Qabous, au pouvoir depuis qu’il a renversé son père en 1970 et qui concentre presque tous les pouvoirs entre ses mains, a annoncé ce dimanche de confier au conseil consultatif « les pouvoirs législatifs et ceux de contrôle ». Parallèlement, le sultan a annoncé que d’ici un mois, une commission proposerait un amendement à la constitution  confiant les pouvoirs législatifs à l’assemblée consultative, qui, de ce fait, cesserait d’être simplement pour devenir législative. Si cette intention se concrétise – et Qabous parle rarement à la légère – c’est une véritable révolution dans ce pays, où l’information circule mal. C’est certainement l’indice que le sultan a pris la mesure du mécontentement de la population, que les quelques manifestations de ces derniers jours ne suffisent sans doute pas à caractériser, et que ce mécontentement doit être très profond. Car si les monarchies saoudienne, koweïtienne ou bahreïnie sont des oligarchies familiales, dans le cas d’Oman, il s’agit d’un véritable monarque, au sens premier du terme : le pouvoir procède d’un seul homme. Le changement annoncé n’en est donc que plus spectaculaire.

Reste que l’annonce des réformes et les largesses financières destinées à calmer les tensions sociales n’empêchent pas les pouvoirs en question de continuer à réprimer, ainsi qu’on l’a vu notamment en Arabie Saoudite et à Bahreïn. Conjuguer la carotte et le bâton demande un savoir-faire et un doigté dont ces monarchies n’ont pas toujours fait preuve. L’heure du choix est venu et le message, de Robert Gates était on ne peut plus clair : le temps des faux-semblants est passé.

Olivier Da Lage

Bahreïn: des élections, et après ?

Posted in Moyen-Orient by odalage on 24 octobre 2010

Pour la troisième fois depuis 2002, les électeurs (et électrices) du petit royaume de Bahreïn se sont rendus aux urnes pour élire les membres du Conseil consultatif. Malgré le succès de l’opposition, (Al Wifaq, le mouvement d’Ali Salmane, a obtenu 18 sièges en ayant présenté 18 candidats !), significatif en raison d’une participation élevée (67 %), il ne faut pas s’attendre à un changement significatif dans le composition du gouvernement et pour plusieurs raisons :

  • C’est un conseil consultatif, comme son nom l’indique, pas une assemblée délibérative ; Il y a une autre assemblée dont tous les membres sont nommés par le souverain qui, par ailleurs, se réserve le pouvoir de modifier seul la constitution (c’est ce que prévoir l’actuelle constitution elle-même !) ;
  • Le découpage électoral rend pratiquement impossible une majorité absolue de l’opposition chiite ;
  • L’un des partis chiites, Al Haq, a été interdit avant le scrutin et le principal mouvement d’opposition, Al Wifaq, qui détenait 17 siège dans l’ancienne assemblée, ne présentait que 18 candidats pour 40 sièges ;
  • Le premier ministre, cheikh Khalifah ben Salmane Al Khalifah, l’a déclaré de la façon la plus claire : à Bahreïn, il n’y a pas d’opposition, tous les habitants sont fils de la même nation. Circulez, il n’y a rien à voir et rien à espérer. Il sait de quoi il parle, oncle de l’actuel roi et inamovible chef du gouvernement depuis l’indépendance, il est l’inspirateur de la politique répressive antichiite qui a marqué l’essentiel de ces 39 dernières années.
  • Ces élections se sont tenues dans la foulée d’une vague d’arrestations et à quelque jours du procès de 23 militants accusés de sédition.

Cela dit, il n’y a pas que de mauvaises nouvelles dans ce qui vient de se passer. D’abord, il y a eu vote et, même si l’on peut contester le caractère entièrement transparent et équitable du scrutin, c’est quand même beaucoup mieux que l’absence d’élections qui a marqué la période 1975-2002. En effet, les candidats ont pu s’exprimer et ont parfois vigoureusement critiqué le gouvernement et la famille royale (c’est en partie la même chose) sous les yeux des citoyens et de la presse internationale. Il n’y a encore pas si longtemps, on allait en prison ou l’on était banni pour beaucoup moins que cela.

La société civile de Bahreïn est extrêmement vivace et ce depuis longtemps puisque cela remonte aux années 30 du siècle dernier. Elle l’est restée malgré des décennies de répression et connaît un renouveau avec le timide dégel qui a accompagné le « printemps de Manama » au début des années 2000. A présent que le pouvoir se referme, c’est la société civile, plus encore que les associations politiques, qui garantira que le processus de démocratisation amorcé voici dix ans ne s’interrompe pas.

Olivier Da Lage

Voir aussi :
Bahreïn ébranlé par une vague d’émeutes (Le Monde Diplomatique, mars 1995)
L’émir qui voulait être roi (RFI, 13 février 2001)
Mon intervention sur France 24 (22 octobre 2010)

Politics and media in the Middle East: The post-Al Jazeera era

Posted in Journalisme, Moyen-Orient by odalage on 13 août 2010

By Olivier Da Lage

We have to admit that there was a pre-Al Jazeera era and a post-Al Jazeera era. There is no doubt that the start of broadcasting in November 1996 by the Qatar-based Arab satellite channel has profoundly changed the media and political equation in the entire Middle East. Countless articles, many books, and research papers in many languages have been devoted to « the Al Jazeera phenomenon »i. State broadcasting authorities and newspaper managers in the Middle East, international broadcasters elsewhere, and governments in the region and beyond had to rethink their policies, change the way they addressed their people and the people of their neighbouring countries. Competitors were forced to set themselves up with the aim of luring away Al Jazeera viewers. Where this succeeded (e.g. with Al Arabiya), it was because these other broadcasters emulated Al Jazeera’s formula of field reporting, and tough questioning of political figures on live interviews. Those viewers who were attracted to other channels usually continued watching Al Jazeera for the sake of comparison.

But Al Jazeera was launched in 1996 and this is 2010, 14 years later. We cannot be satisfied repeating the same clichés, however true they may be, about the pioneering role of Al Jazeera. In the course of these 14 years the media and political landscapes around Al Jazeera have profoundly changed, largely due to the role it played in disrupting the traditional media system in the Arab world. But these changes, in turn, affected Al Jazeera for two main reasons. The most obvious reason is that, in 1996, Al Jazeera’s style of reporting was unchallenged in the Arab world. This is no longer true. By setting the standard, Al Jazeera created the conditions and the framework for real competition and pluralism, and everyone had to more or less adapt to the Al Jazeera model. As a result, Al Jazeera is still a figurehead and a major actor, but it no longer has a monopoly on professional and independent reporting in Arabic. The second reason might be less obvious but it is linked to the reason for which Al Jazeera was originally created. Irrespective of the sincerity of the new Qatari Emir regarding freedom of the press, Sheikh Hamad had set himself a major objective: put Qatar on the geopolitical map well beyond the size of its territory and populationii. Al Jazeera was instrumental in achieving this goal, as the subsequent years have proven.

By its constant interviewing of political opponents, Al Jazeera infuriated virtually all Arab heads of state, and western leaders alike. Some of its bureaux were closed, and diplomatic relations were (temporarily) severed. Throughout this turmoil, the Qatari Emir stood by Al Jazeera’s management in the name of democracy and freedom of the press. Whether his interlocutors were convinced by his stance remains to be seen, but they had to accept it, and, usually after a few months, the bureaux were reopened and ambassadors sent back to their posts. The trick was not to alienate every Arab government at the same time, and one must admit that Al Jazeera did a good job of taking them on one by one, making it easier, if not easy, for the Qatari government.

Meanwhile, as Sheikh Hamad had planned, Qatar had developed a reputation for itself. Its diplomacy became active in mediating between Arab or Muslim factions, a role that previously had been the domain only of Egypt and Saudi Arabia. Despite numerous misgivings, most Arab states – notably Saudi Arabia – had reluctantly come to terms with the existence of Al Jazeera, and had normalised their relations with Qatar. Several high-level meetings between the Qatari and Saudi leadership marked this reconciliation after long-standing strains in their relationship. (In 1992, there were even armed skirmishes on their border, resulting in three deaths.)iii

Mohammed Jassim Al Ali had been Al Jazeera’s managing director since its inception, and he had embodied the new brand of journalism, and its resistance to government pressure that was represented by the channel. Needless to say, he was not very popular with the Saudi or American authorities. So, when his replacement was announced in May 2003, it was difficult not to see a connection. Since then, no one disputes the fact that Al Jazeera has retained its professionalism, but many observers contend that its programmes are less offensive to Saudi Arabia or the United States than they previously had been. Many point out that the first Al Jazeera was a curious blend of Islamic conservatives, Arab nationalists, and, to some extent, free thinkers. The new Al Jazeera has definitely a more religious and conservative flavour. In a nutshell, many have the feeling that Al Jazeera has been normalised along with the normalisation of Qatar’s diplomatic relations.

As stated earlier, however, whether this perception is founded on a strong basis or not has far less importance than if it had taken place in the first years of the channel’s existence. Because – and I am not saying this is the case – even if the Qatari government or Al Jazeera’s current management wanted to put a lid on the channel, it simply could not do so without losing Al Jazeera’s most precious asset: its credibility. Its viewers are by no means captive; Al Arabiya, LBC and others have established themselves as global – or, at least, regional – players. The competition has improved the quality and freedom of information offered to Arab citizens. Even newspapers had to open up for fear of losing their readers – who also watch satellite news channels.

What these Arab satellite televisions have achieved is not confined to this. They have also succeeded in bringing the Arabic-speaking populations of the Middle East and North Africa closer to each other. In a sense, it can be said that they have done within a decade what the Arab League arguably had failed to do in five decades: the unification of the « arabosphere ». To be sure, the problems of the Maghreb are quite distinct from those of the Mashreq, and this situation is unlikely to change in the foreseeable future. Nevertheless, whereas in the early 1990s the multiplication of satellite dishes in Algeria, Tunisia and Morocco allowed the populations of these countries to receive French channels, the advent of Al Jazeera and others like it has radically altered the situation: households in these countries now watch Arab satellite channels instead of France 2 or TF1. So do, for that matter, many North Africans living in Europe. The reason for this is twofold: the coverage of Middle Eastern issues on European broadcasting channels has been perceived as biased against Arabs and Muslims by southern viewers, especially at the peaks of crises such as the Iraq war. On the other hand, Arab satellite television channels give Arabs a voice, and people in Algeria, Morocco, Tunisia or Mauritania easily relate to their coverage and the worldview depicted in their programmes.

Moreover, the language factor is essential, as many of those who had previously watched European channels had a poor command of French, Spanish or Italian, but understood the Arabic spoken on these Arab channels, even if it was not the dialect of Arabic commonly used at home. The fact that Al Jazeera and Al Arabiya (but not the Lebanese channels) have North African newsreaders, talk-show hosts or reporters is also a key element in the success achieved in North Africa by Arab satellite channels broadcasting from the Gulf. In fact, this is a novelty for Eastern Arabs who also had to get used to watching news read by an Algerian or a Moroccan. Until recently, Lebanese and Egyptians were exerting a monopoly over transnational Arabic newscasts, whether from the BBC or from Monte Carlo Doualiyya (formerly Radio Monte Carlo-Middle East). The newsrooms of Al Jazeera or Al Arabiyya epitomise the feeling of belonging to a common entity: the Arab world.

However, these achievements may also have a rebounding effect. Since Arab governments have long ago given up on censoring programmes, and all attempts to check the sale of satellite dish receivers failed in the 1990s, virtually everyone in the Arab world can watch these channels, and most do. As a result, they are perceived as local television channels as much as they are perceived as transnational channels, including by governments and religious authorities. This can carry a heavy price tag, both for the viewers and the broadcasters. Last June, in Saudi Arabia, the religious police had been probing an MTV programme for « sin ». In the programme, called « Resist the Power! », a Saudi girl spoke about how she had been riding a bicycle in the streets of Jeddah, disguised as a boy. On the same programme, a Saudi boy was explaining how he had broken local rules on gender segregation in order to meet his girlfriend. Earlier, in October 2009, a Saudi man had been sentenced to five years in jail after he had boasted about his sexual exploits on LBC’s « Bold red line ».

The penalties can be even harsher for broadcasters. For many years, Ali Hussein Sibat had been the host of a programme on the Lebanese Scheherazade satellite television channel, in which he used to give personal advice and predict the future. In October 2008, as he was performing the pilgrimage in Makkah, he was arrested for « sorcery ». He was sentenced to death in November 2009, and, in March 2010, the death penalty was confirmed by a Saudi appeal court. An international outcry and diplomatic pressure stayed his execution, but his fate is unknown. Even if these examples are extreme, it shows that, in many places in the Middle East, governments have not gracefully accepted the de facto end of censorship. The message seems to be: you may be free to speak to our populations from abroad, but watch out if you happen to travel within our jurisdiction; we are also free to capture and punish you.

The fact is that Arab satellite television channels have played (and still do) a tremendous role in changing the Middle East in the past 15 years; they have become part of the landscape and everyone has adapted: governments in the regions – albeit unwillingly – and the channels themselves, which seem to be less disruptive to the traditional order than they had been a few years ago. As for the viewers, they are picking and choosing from all the television programmes at their disposal. The situation has more or less stabilised on this front.

Meanwhile, a new front (and new challenges) has opened for all the dramatis personae of the play, and in this new one, the public is becoming a major actor. The internet, mobile phones, voice over IP (VoIP), chats, social networks, and SMSes have now become a major headache for all governments, a powerful competitor for traditional media, and a prime source of information for many. From being passive recipients of information, people have become central players.

After the June 2009 Iranian election which saw Mousavi’s supporters demonstrating against alleged electoral fraud and the ensuing repression, President Ahmadinejad’s opponents had been deprived of access to most traditional media outlets. Television and radio were tightly controlled by the government; opposition and independent newspapers and magazines were closed one after another; and journalists were put in jail. But the opposition capitalised on the tools made available by Twitter, Facebook, Youtube (with videos taken and sent from mobile phones), and SMS. The Iranian authorities tried to block Twitter and Facebook, and to shut down the mobile phone networks for a time. But, after a while, they had to back down.

The same retreat occurred when the Pakistani government decided to block access to Facebook. Gulf governments face the same dilemma. Since the 1990s, they have tried, and to some extent succeeded, in developing the internet while – at the same time – monitoring its content through a comprehensive system of firewalls and proxies. Dubai police are particularly competent in this respect. Cybercafés in the Gulf and in Saudi Arabia are closely monitored by police officers who track any sign of opposition to the royal family or the government, and any accessing of « immoral websites ». But, with the advent of smart-phones which combine the ability to send SMSes with VoIP, internet surfing, emails, and video/photo cameras, it has become increasingly difficult. Saudi Arabia has even tried to prevent travellers from entering the kingdom with a mobile phone fitted with a camera. It has been to no avail. In July, the UAE and Saudi Arabia announced that unless the Canadian company Research in Motion gave them the key to its encrypted communication systems, they would ban the use of Blackberry devices in their territories. In the UAE alone, there is an estimated 500,000 Blackberries in use.

This is the crux of the problem. Littoral Gulf States have been pretty adept at profiting from the globalisation process. This is particularly true of Dubai and Qatar. But, in a competitive world where localisation is increasingly less important, how can they continue luring businessmen from around the world if they disable major communications functions of mobile phones or of internet terminals? These measures are, of course, taken in the name of fighting terrorism and money-laundering, but these excuses are not entirely convincing. One cannot but notice that, in the course of the last decade, Al-Qaeda and other jihadist movements have been far more responsive and adept than governments at using the new communication technologies both for private communications and propaganda. If anything, Arab governments are losing this communication battle to terrorists, political opponents, human rights NGOs, and their own populations. This loss is not for a lack of resources. These governments pay huge fees to public relations companies who host foreign journalists for scripted tours, or organise media conferences abroad for local leaders or carefully-selected « representatives of civil society » who have nothing to say and are in denial of even minor problems back home.

Arab satellite channels have posed a major challenge for Arab and other governments in the past 15 years. They may still pose a challenge, but it is no longer a major one, as everybody seems to have made the necessary compromises. The rising challenge derives from the people themselves, who take up the information business with the tools which are now available to virtually everyone. There can be no doubt that, with time, money and technology, governments will succeed in reducing this challenge. But time does not stop. New technologies which we cannot conceive in 2010 will emerge and give people the ability to, once again, bypass censorship.

For governments, this is a battle which – in the long run – can only be lost.

* Olivier Da Lage is an author and journalist. He has published several books and numerous articles on the Middle East, and is a regular lecturer at the Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), a Paris-based foreign policy think tank. He also teaches journalist ethics and press law.

** This article is published as part of a partnership agreement between the Afro-Middle East Centre and the Doha-based Al-Jazeera Centre for Studies.

References

iThe Al Jazeera Phenomenon is the title of the work edited by Mohamed Zayani, Pluto Press, London, 2005.

iiSee my contribution in Zayani’s book: ‘The politics of Al Jazeera or the diplomacy of Doha‘.

iiiOlivier Da Lage, ‘Saudi Arabia and the Smaller Gulf States: The Vassals take their Revenge‘, 2005.

Yémen : guerre nouvelle, ressorts anciens

Posted in Moyen-Orient by odalage on 10 novembre 2009

« Le bonheur du royaume réside dans le malheur du Yémen », aurait déclaré Ibn Saoud, le fondateur de l’Arabie saoudite à ses fils rassemblés autour de son lit de mort en 1953. Authentique ou apocryphe, l’anecdote est répétée avec gourmandise par les Yéménites de toute condition, pour souligner la crainte qu’inspire ce pays beaucoup plus pauvre que son grand voisin, mais aussi peuplé.

Aussi n’y a-t-il rien d’étonnant à voir l’aviation saoudienne intervenir militairement contre les rebelles « houthistes » dans la zone frontalière de Saada en invoquant une « stratégie iranienne » pour justifier son action. Une intervention qui rappelle un précédent fâcheux : l’intervention saoudienne aux côtés des royalistes yéménites après la révolution de 1962. Cela n’a laissé de bons souvenir ni aux Yéménites, ni aux Saoudiens. Ces derniers ont dû se résigner à l’existence d’une république à leur flanc sud, tout en intervenant activement pour déstabiliser son gouvernement par le financement des tribus.

L’un de leurs partenaires et client traditionnel était le cheikh Abdallah Al Ahmar, chef de la puissante confédération tribale des Hached, dominante au nord du Yémen, et notamment dans la zone de Saada. Quelques rappels pour fixer les idées : Abdallah Al Ahmar, bien que conservateur, est toujours resté républicain et son soutien a été décisif dans le succès des républicains face aux royalistes lors de la guerre de 1962 et par la suite ; Abdallah Al Ahmar a toujours su accepter les prébendes saoudiennes sans devenir un agent saoudien ; il a longtemps présidé le parlement et son parti, Al Islah. Un parti islamiste, mais dont il représentait l’aile pragmatique. Enfin, le président Ali Abdallah Saleh, arrivé au pouvoir par un coup d’État militaire en 1978, appartient à cette même confédération tribale des Hached –il est apparenté au clan Al Ahmar– et ne peut véritablement gouverner contre elle.

C’est dans ce contexte qu’il faut lire la passionnante interview accordée à Gilles Paris dans le Monde (daté du mercredi 11 novembre) par son fils, Hamid Ben Abdallah Al Ahmar. Il n’a que 40 ans, mais auréolé de la puissance que lui confère son héritage tribal, il peut impunément critiquer le chef de l’État, une liberté de ton qui par le passé, a coûté la vie, la liberté ou la santé à nombre d’autres politiciens yéménites : « le Yémen mérite mieux » qu’un régime « devenu source de danger », ose-t-il affirmer.

Déclaration d’opposition ou simple rappel au président yéménite qu’il doit compter avec les tribus ? L’avenir le dira. Ce qui est certain, c’est que l’État ne contrôle rien hors des grandes villes et des axes principaux. En 1992, me rendant en taxi à Saada en compagnie de Rémy Leveau, je me rappelle avoir demandé au chauffeur, peu avant d’arriver dans la localité, ce qu’était cette grande bâtisse blanche, à l’écart de la route. C’était en fait une caserne militaire. Mais la réponse du chauffeur de taxi, donnée dans un grand éclat de rire, mérite d’être méditée : « ça, c’est le gouvernement ! », sous-entendant que le pouvoir ne contrôlait rien en dehors de l’enceinte de l’édifice.

La suite ne lui a pas donné tort.

Olivier Da Lage

Voir aussi :

Les rêves brisés de l’unité yéménite (Le Monde diplomatique, juillet 1994)

Le Yémen entre démocratisation et guerre civile (Revue Défense Nationale, février 1993)

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