Le Blog d'Olivier Da Lage

Déontologie : Jean-François Mancel invente l’Ordre des journalistes

Posted in Journalisme by odalage on 24 juillet 2011

Avec un sens aigu de l’opportunité (actualité britannique et creux estival), le député de l’Oise (et ex-secrétaire général du RPR) Jean-François Mancel vient de déposer une proposition de loi visant à instituer un conseil de presse et un code de déontologie.

En soi, cette double proposition n’est pas exagérément originale. Elle est, par exemple, au cœur de la démarche de l’APCP, l’Association de préfiguration d’un conseil de presse en France. Pourtant, le texte déposé par Mancel mérite quelques observations particulières.

En premier lieu, dans l’exposé des motifs, le député de l’Oise fait référence aux exemples étrangers et cite pour commencer le conseil de presse britannique. On a vu ici comment, avec le bras droit de Rupert Murdoch à la tête du comité d’éthique et l’un de ses hommes clés siégeant en son sein, la Press Complaints Commission avait lamentablement échoué à enrayer les dérives déontologiques des tabloïds, qu’ils appartiennent à Murdoch ou non.

En ce qui concerne sa composition, Jean-François Mancel prévoit une représentation tripartite : journalistes, éditeurs et société civile. C’est là que ça se corse. Car selon le quatrième alinéa de l’article 2 de cette proposition de loi, le conseil comprend « sept membres représentant la société civile, extérieurs aux métiers du journalisme et de l’édition, ayant répondu à un appel à candidature et sélectionnés par un comité dont la composition sera fixée par décret et après avis des commissions parlementaires compétentes ». Vu que les décrets, par définition, sont pris par le gouvernement et que les commissions parlementaires reflètent la majorité du moment, ce n’est pas beaucoup s’avancer que d’affirmer que les « représentants de la société civile » seront, dans la pratique, choisis par le pouvoir. Au temps pour l’objectif affiché dans l’exposé des motifs de conserver au conseil l’indépendance à l’égard du pouvoir politique !

Cette volonté de mise sous tutelle est d’autant plus évidente à la lecture de l’alinéa 7 du même article, qui prévoit qu’« est adjoint au comité exécutif du conseil national de déontologie journalistique avec voix consultative un représentant du ministère de la culture et de la communication ». Non seulement un représentant du ministère siégerait dans cet organisme, mais il aurait une voix consultative.

Résumons-nous : l’État nomme un tiers des membres du Conseil national de déontologie, mais de plus, il rajoute à la liste un haut fonctionnaire qui prend part aux votes. Si ce n’est pas le retour au ministère de l’Information, cela y ressemble diantrement.

La base de travail du Conseil sera un code de déontologie (article 7) dont la rédaction est confiée à des professionnels, sous l’égide du Conseil. L’article 8 précise qu’une fois rédigé, le Code sera édicté sous la forme d’un décret en conseil d’État. Arrêtons-nous quelques instants sur ces deux points. Dans son exposé des motifs, Jean-François Mancel justifiait le dépôt de sa proposition par l’échec du groupe animé par Bruno Frappat à fédérer l’ensemble de la profession autour de son texte. Qu’est-ce qui fait croire au député que son futur code ne rencontrera pas le même problème ? Et si blocage il y a, son projet ne dit rien de la façon de le résoudre. En revanche, le Code a vocation à être traduit en décret (« édicté », précise le texte, par référence aux édits, ces décrets de l’Ancien Régime) ce qui en ferait un code de déontologie d’État !

Enfin, car Jean-François Mancel a songé à tout, et notamment au financement de ce Conseil de déontologie, éditeurs et journalistes seront d’office membres de ce conseil et par conséquent, verseront obligatoirement une contribution sous la forme d’une cotisation annuelle fixe obligatoire.

Chez les médecins, les architectes ou les avocats, cela ne se passe pas autrement : on appelle cela un Ordre.

Olivier Da Lage

9 Réponses

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  1. […] 2011, le journaliste Olivier Da Lage avait critiqué sur son blogue la première proposition de loi déposée par M. Mancel. Il jugeait que le processus de nomination […]

  2. […] 2011, le journaliste Olivier Da Lage avait critiqué sur son blogue la première proposition de loi déposée par M. Mancel. Il jugeait que le processus de nomination […]

  3. Antoine Héry said, on 21 juillet 2014 at 16:43

    Bonjour Olivier, Vous avez oublié une disposition de l’Article 7 qui prévoit que la composition du « comité représentatif » chargé de rédiger le code de déontologie « sera fixée par décret ».
    Une pierre de plus!

  4. MartinLagardette said, on 18 juillet 2014 at 08:54

    Je partage certaines des critiques d’Olivier par rapport à la présence de l’Etat dans un futur Conseil de presse. Le projet de l’APCP avait bien vu cette possible mainmise et l’avait prévenue.
    Reste que critiquer, c’est une chose, agir, autre chose. La presse reste sans régulation faute de soutien de la profession journalistique, notamment.
    Si O. Da Lage ne veut pas du projet Mancel, pourquoi ne soutient-il pas celui de l’APCP ?

  5. […] Déontologie : Jean-François Mancel invente l'Ordre des … En ce qui concerne sa composition, Jean-François Mancel prévoit une représentation tripartite : journalistes, éditeurs et société civile. C'est là que ça se corse. Car selon le quatrième alinéa de l'article 2 de cette … […]

  6. […] C’est une proposition de loi qui s’est discrètement glissée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 13 juillet dernier et que mon confrère Olivier Da Lage a eu bien raison de faire sortir en pleine lumière. […]

  7. Jean-Marie Charon said, on 26 juillet 2011 at 09:01

    Olivier pointe parfaitement les biais et danger d’un texte aux intentions apparemment si louable. Décidément les politiques français n’imagineront jamais que l’information doit être indépendante, sans imaginer de renforcer toujours un peu plus le carcan législatif


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