Le jour où l’ambassadeur saoudien m’a menacé
Par Olivier Da Lage
Depuis l’annonce de la disparition du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans les locaux du consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul, des souvenirs que j’avais enfouis au plus profond de ma mémoire remontent à la surface et ils sont plutôt désagréables. Ils remontent au 27 juin 1990, le jour où l’ambassadeur d’Arabie Saoudite en France m’a menacé.
Deux jours auparavant, l’attachée de presse de l’ambassade m’avait appelé pour me dire que l’ambassadeur voulait me voir. Jamil al-Hujailan était une personnalité impressionnante. Doyen du corps diplomatique arabe, cet ancien ministre du royaume, parfaitement francophone, était l’une des personnalités les plus influentes du Tout-Paris politico-diplomatique. Je me demandais bien ce qu’il pouvait me vouloir, mais j’étais, pour tout dire, flatté et rendez-vous fut pris pour mercredi 27 juin à 10h30.
Jamil al-Hujailan m’accueille chaleureusement, m’offre du café, me demande si j’ai récemment voyagé au Moyen-Orient et si je compte retourner m’y établir comme correspondant (j’ai été en poste à Bahreïn entre 1979 et 1982). Puis il me félicite pour la qualité de mon travail de journaliste, faisant plus particulièrement référence à un article historique que Le Monde a publié quelques mois auparavant sur la prise de la Grande Mosquée de La Mecque en 1979 ou à un entretien que j’ai récemment accordé à France Culture, opposant mon « honnêteté » à celle d’autres intervenants, ce qu’il a souligné auprès du PDG de Radio France lorsqu’il est intervenu pour se plaindre de l’émission. Il se lance ensuite dans des digressions sur RFI, me faisant bien comprendre qu’il connaît très bien les dirigeants de l’entreprise qui m’emploie.
L’ambassadeur se tait soudain et me regarde avec intensité. Je suis de plus en plus perplexe sur les raisons de ma présence dans son bureau. Puis il se lance et me demande si je suis au courant de l’existence d’un documentaire sur l’Arabie Saoudite dans lequel je suis interviewé. Bien entendu, je le suis. Un documentariste tunisien m’a contacté quelques mois plus tôt pour le film qu’il est en train de préparer sur les droits de l’Homme en Arabie. Ayant obtenu l’autorisation de mon rédacteur en chef, j’ai donc enregistré cet entretien le 10 avril 1990. La tonalité du documentaire n’étant pas très favorable au royaume, je commence à comprendre où mon interlocuteur veut en venir. Je réponds « oui » à sa question. Son regard se durcit soudain :
─ Je vais vous faire une surprise très désagréable. Venez avec moi, vous allez voir cette émission.
Il se lève et m’accompagne sur le palier, vers un ascenseur, et se lâche :
─ Que penseriez-vous si l’on disait que M. Da Lage, journaliste honnête et réputé, avait été utilisé par l’Iran pour un chantage et une campagne de diffamation contre mon pays ?
Interloqué, je réponds que c’est hors de question. Un sourire ironique s’affiche sur le visage de l’ambassadeur.
─ Vous allez voir par vous-même.
Hujailan me mène au deuxième étage, dans la salle vidéo de l’ambassade où me rejoint son chargé de presse, un nommé Omar.
─ Je vous laisse regarder. Si vous le souhaitez, vous pouvez revenir me voir après avoir visionné la cassette.
Je lui réponds sèchement que je n’ai pas l’intention de partir comme un voleur. Il hoche la tête comme pour dire « on verra bien » et quitte la pièce.
Omar s’assied à mes côtés, souriant, et, sans mot dire, met en marche le magnétoscope. J’ai sorti un carnet et un stylo pour noter d’éventuelles phrases qui m’auraient échappé et qui justifieraient l’ire de l’ambassadeur. Cinquante-deux minutes plus tard, rassuré, je range l’un et l’autre. Rien dans mes propos que je puisse renier. Il s’agit en fait de banalités que pourraient proférer tous ceux qui s’intéressent à l’Arabie Saoudite. D’autres intervenants, en revanche, sont plus tranchants, mais je n’en suis pas responsable.
C’est donc confiant que, à 11h45, je retrouve l’ambassadeur dans son bureau. Il me propose à nouveau un café que je décline. L’heure n’est plus aux salamalecs. Je lui dis d’emblée que je comprends qu’il n’ait pas aimé ce qu’il a vu, mais que j’assume l’entière responsabilité de ce que j’ai dit dans ce film, mais pas du documentaire dans son ensemble.
─ Mais vous m’aviez bien dit que vous saviez que ce film était en préparation… objecte-t-il.
Je lui réponds que lorsque l’on donne une interview, c’est forcément pour une émission. Cela ne veut pas dire que l’on sait ce qu’il y aura dedans. Il s’obstine et affirme que je ne pouvais pas ignorer le contenu du documentaire. Je rétorque que de toute évidence, nous ne nous comprenons pas.
─ N’insultez pas mon intelligence ! s’exclame Jamil al-Hujailan qui ne cache plus sa fureur. Je ne peux pas croire qu’un grand journaliste comme vous donne des interviews sans savoir à qui. D’autant que si j’ai la cassette, c’est qu’il est venu me la proposer en demandant trois millions de francs suisses pour qu’elle ne soit pas diffusée. C’est du chantage ! Il nous a bien dit que les trois millions de francs suisses étaient pour dédommager M. Da Lage et XXX (un autre journaliste, également interviewé dans le documentaire).
Estomaqué, je lui réponds que je n’ai pas touché un demi-centime et que je ne permets à personne, pas même à lui, de m’accuser de vénalité et de chantage.
Hujailan se fait silencieux, s’affale dans son fauteuil et me regarde désormais avec commisération. A l’évidence, en affirmant que je pouvais donner une interview gratuitement, sans contrepartie, j’ai perdu à ses yeux toute crédibilité. Ce n’est tout simplement pas imaginable.
─ Alors donnez-moi les noms de ceux qui ont fait cette émission.
Je refuse et lui dis que de toute façon, ils sont au générique du film. L’ambassadeur reprend et m’affirme qu’il a des yeux et des oreilles partout et qu’il finira bien par le savoir. Je hausse les épaules, mais cela me donne un indice sur l’origine de cette copie de travail en noir et blanc qu’il m’a fait visionner. Hujailan prétend que le documentariste lui-même la lui a proposée contre de l’argent en échange d’une non-diffusion. C’est possible, ce genre de pratiques existe, mais cela ne correspond pas au profil du réalisateur sur lequel je me suis quand même un peu renseigné. En revanche, ce dernier m’avait confié qu’il enquêtait sur les liens entre l’ambassade et un célèbre mercenaire français travaillant notoirement pour des monarchies du Golfe. Il ne m’est pas difficile d’imaginer qu’ayant été informé de ce projet, celui-ci ait cambriolé les locaux de la société de production pour mettre la main sur une copie du documentaire, en l’occurrence, une copie de travail, mal dégrossie. Quoi qu’il en soit, cela ne me concerne pas directement, mais ce n’est pas l’avis de l’ambassadeur :
─ Vous n’êtes peut-être pas complice de ce chantage, M. Da Lage, mais en ce cas, vous êtes irresponsable. Malheureusement, vous n’irez plus jamais dans mon pays. Et si vous allez ailleurs dans le monde arabe… Enfin, je n’en dis pas plus. C’est dommage pour la carrière d’un grand journaliste spécialiste du Moyen-Orient comme vous. Je vous conseille fortement de recontacter ce producteur et de vous opposer à la diffusion du documentaire. Vous pourrez alors me recontacter, si vous le souhaitez. Je vous souhaite bon courage, M. Da Lage…
Quelques minutes plus tard, je me retrouve sur le trottoir de la rue de Courcelles, devant l’ambassade, les jambes flageolantes. Je m’assieds sur un banc pour rassembler mes esprit et coucher par écrit tout ce que je viens de vivre. De retour à la radio, je passe plusieurs appels à des amis haut placés : le conseiller pour le Moyen-Orient de Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères, le conseiller politique d’Edgar Pisani, président de l’Institut du Monde arabe à qui il me présentera dès le lendemain avec une référence explicite à ce qui m’est arrivé.
J’appelle également XXX, l’autre journaliste présent dans le film, qui a, lui aussi, eu droit au même traitement quelques heures plus tard avec une nuance que me rapporte mon confrère, d’origine maghrébine. L’ambassadeur lui a lâché : « Da Lage, c’est un chrétien, on comprend encore, mais toi, tu es des nôtres alors que pour eux, tu seras toujours un bicot ! ».
Le lendemain, j’appelle l’attachée de presse de l’ambassade en lui répétant mot pour mot ce qui s’est passé dans le bureau de l’ambassadeur et je la mets en garde : si quelqu’un s’avise de répéter les insinuations de Hujailan, je ferai un procès en diffamation au cours duquel tout sera révélé et à toutes fins utiles, j’ai informé les autorités françaises. Affolée, l’attachée de presse me demande de me calmer (il est vrai que j’étais passablement énervé) et de toute évidence, elle ne savait pas comment elle pourrait répéter ce que je venais de dire à l’ambassadeur.
Epilogue n° 1 :
L’invasion du Koweït intervient moins de deux mois plus tard, le 2 août. L’Arabie s’ouvre aux journalistes. RFI veut m’y envoyer alors que je me trouve au Qatar en décembre. Mais l’ambassadeur lui-même téléphone à la radio pour dire que j’étais persona non grata dans le royaume. Dans les mois qui suivent, mon histoire commence à se savoir dans le petit milieu des journalistes spécialisés sur le Golfe. Entre-temps, je me fais un devoir de multiplier les écrits sur l’Arabie pour montrer que leur stratégie d’intimidation n’a pas fonctionné. Le numéro deux de l’ambassade, que je croise à plusieurs réceptions, a l’air très ennuyé et m’assure que l’ambassadeur lui a souvent répété son admiration pour moi et qu’il faudrait que nous trouvions le moyen de nous réconcilier.
Finalement, près de deux ans plus tard, alors que Hujailan s’apprête à quitter la France après plus de vingt ans passés à paris comme ambassadeur, son attachée de presse m’appelle pour me dire qu’il veut me voir. Une fois suffit, je ne vais pas tomber deux fois dans le même piège, est en substance ma réponse. Mais patiemment, elle m’assure que ce n’est pas comme la première fois et qu’il veut sincèrement renouer. Je finis par accepter et je me retrouve dans ce même bureau où il m’a tour à tour humilié et menacé. Ce jour-là, le ton est bien différent.
─ M. Da Lage. On me dit que vous voulez vous rendre dans mon pays. Bienvenue ! Je vais vous aider. Que voulez-vous y faire ?
J’invente sur le champ des sujets de reportage et je donne des noms de personnalités officielles que je souhaite rencontrer. Il note scrupuleusement toutes mes demandes en hochant la tête d’un air approbateur et me dit :
─ Dès cet après-midi, je fais partir un télex avec vos demandes et je prépare votre visa.
Puis, comme traversé par une pensée soudaine, il ajoute :
─ Mais avant d’émettre le visa, je vais sans doute attendre que vos rendez-vous soient confirmés. Cela vous évitera d’attendre pour rien dans votre chambre d’hôtel à Ryad.
Je fais mine d’approuver, sachant parfaitement que je n’aurai pas de nouvelles de sa part, ce qui sera effectivement le cas, mais nous venons ainsi en quelque sorte de rétablir nos relations diplomatiques.
Epilogue n° 2
Bien des années plus tard, un ami diplomate me glisse :
─ Au fait, ton histoire avec Hujailan…
Je le coupe :
─ Tu es au courant ?
Il prend un air entendu.
─ Naturellement ! Après votre rendez-vous, l’ambassadeur a été convoqué au Quai d’Orsay pour une mise en garde et on lui a fait très clairement comprendre qu’il n’avait pas à menacer un journaliste français.
Comment peut-on ne pas être Nordique ?
Par Olivier Da Lage
Depuis la relance de la FIJ en 1952, le groupe des syndicats nordiques joue un rôle déterminant. Syndicats puissants et riches, ils ont participé de façon prépondérante à la direction ou à l’orientation de la Fédération jusqu’au congrès de Cadix en 2010. Et en 2013, lors du congrès de Dublin, la seule représentante d’un syndicat nordique au sein du Comité exécutif a été sévèrement battue lors des élections.
Dire que la perte du contrôle de la FIJ a été un traumatisme pour les Nordiques est un euphémisme. Ils se sont rattrapés en conservant celui de la FEJ, la Fédération européenne des journalistes (le groupe européen de la FIJ), mais ce n’est pas la même chose. Certains ont songé – mais pas longtemps – à quitter la FIJ pour se consacrer entièrement à la FEJ mais ce projet n’a pas vécu longtemps. La première mesure de rétorsion après la perte de la majorité à Cadix a été la suspension immédiate de la contribution danoise au Fonds d’entraide de la FIJ, au motif que l’argent n’était pas dépensé. Jusqu’au congrès de Cadix, le trésorier n’était autre que le président du syndicat danois qui devait donc avoir une idée des raisons pour lesquelles cet argent n’était pas employé comme son syndicat le voulait, mais c’est un débat interne à son syndicat, digne de Hamlet. Dépenser ou ne pas dépenser, telle est la question.
Quoi qu’il en soit, l’attitude des syndicats nordiques post-Cadix a été perçue par la majorité comme la bouderie de mauvais perdants ne supportant pas d’avoir perdu le pouvoir au sein de la Fédération et exerçant des représailles avec l’arme qui leur restait : l’argent. Ils s’en sont servi pour créer des scissions au sein de syndicats africains (subventions et salaires confortables à la clé) favorisant ceux qui voteraient « bien » au prochain congrès. La même tendance a pu être discernée en Asie et en Amérique latine.
Mais c’était plus une impression qu’une certitude. Et comment croire que d’authentiques journalistes, authentiques syndicalistes pourraient s’abaisser à de tels comportements. N’était-ce pas de notre part pure médisance et soupçons infondés ?
La réponse à cette interrogation est venue du nouveau président du syndicat des journalistes danois Lars Werge lui-même lors du congrès de la FIJ qui vient de se tenir à Angers. Lars est un homme de grande taille, plutôt raide dans son maintien comme il l’est dans ses propos. Brutal, même. Ou, si l’on veut se montrer indulgent, direct et sincère. Quoi qu’il en soit, Lars Werge, dans ses propos publics comme sur sa page Facebook, ne cache rien de ses impressions, mais il va beaucoup plus loin : il donne de passionnantes informations sur la façon dont les syndicats nordiques de la FIJ conçoivent leur rôle au sein de la Fédération. Et ça décoiffe !
Il commence par revenir sur le cheval de bataille de son syndicat, le Fonds d’entraide. Selon lui, la FIJ manque de transparence. Et quand le secrétaire général de la FIJ Anthony Bellanger lui répond qu’il peut venir s’en expliquer à Copenhague ou que Lars peut venir lui-même à Bruxelles vérifier les chiffres, la réponse ne satisfait visiblement pas le président du syndicat danois. C’est pourquoi se met en place le grand projet des Nordiques : placer l’un des leurs au poste de trésorier en remplacement de l’Allemand Wolfgang Mayer. Lars Werge écrit, au troisième jour du congrès : « Il y a une bonne nouvelle : le Finlandais Juha Rekola est prêt à se présenter au poste de trésorier honoraire. C’est un homme fort qui fera beaucoup mieux que l’Allemand Mayer – et avec le soutien total de l’alliance du Nord, qui a déjà entrepris un travail de lobbying dans les couloirs, je pense qu’il sera élu. La décision interviendra demain. »
Bon, les Nordiques veulent l’un des leurs à la trésorerie. C’est légitime et les manœuvres de couloirs font partie de la vie de tous les congrès. Que nous réserve le lendemain ?
« C’est le congrès le plus paresseux auquel il m’ait été donné d’assister » confie, au quatrième jour, un vétéran de la FIJ à Lars qui peste devant les nombreuses pauses des assemblées plénières, suspendues dans l’attente des rapports des commissions. Pourquoi attendre aussi longtemps dans une journée où l’on doit aller de l’avant et élire le président et le trésorier ? s’énerve Werge. Qui soupire : « c’est malheureusement l’un des nombreux inconvénients quand différents modes de culture sont présents ». Cette remarque est pleine de bon sens et dénote un sens de l’observation particulièrement acéré. Parmi les quelque 300 délégués présents à Angers, les Nordiques sont aussi peu nombreux qu’ils sont homogènes. Il y a par contre plein de Russes, d’Européens du Sud, d’Africains, de latino-américains, d’Asiatiques qui se comportent différemment. Ça fait désordre. En même temps, c’est le principe même d’une fédération internationale… « Nous, les Danois arrivons à l’heure, alors que d’autres délégués (et même les employés du secrétariat) arrivent 10-20-30 minutes après l’heure prévue. Il est d’usage que les séances commencent avec jusqu’à une demi-heure de retard. C’est une sorte d’épreuve. J’ai conscience que deux minutes peuvent avoir une autre signification dans le monde réel », observe néanmoins avec philosophie Lars Werge. Et le monde réel diffère parfois des rêves nordiques, n’est-ce pas, Lars ?
« C’est comme si Dracula se présentait pour diriger la banque du sang »
Parmi les élections à venir, celle qui l’intéresse véritablement est celle sur laquelle il fonde de grands espoirs : le choix du trésorier. Face à son poulain finlandais, Werge s’étrangle en découvrant que le président sortant Jim Boumelha ose se présenter alors que le rapport du trésorier sortant évoquait la veille les difficultés financières de la FIJ. « À mon avis, c’est comme si Dracula se présentait pour diriger la banque du sang », remarque finement Lars Werge. Heureusement, face à ce monstre sanguinaire, son héraut est un adversaire de valeur : « Juha Rekola, calme et fin, avec de nombreuses années d’expérience sur les plans politique et technique. C’est lui que nous soutenons et c’est le jour ».
Mais lorsque le résultat du scrutin est annoncé, il faut déchanter : Boumelha l’emporte par 176 voix contre 153 à Rekola. Werge n’en revient pas que les congressistes aient apporté leur confiance au président sortant, responsable de tous les maux de la Fédération. Il se console en échafaudant l’hypothèse que si 12 délégués avaient inversé leur vote, le résultat eut été tout autre. En effet. Avec des « si », on met Paris en bouteille…
Un accord entre les Nordiques pour prendre la présidence
Mais ça ne se passera pas comme ça. « Avec les autres Nordiques, nous avons un accord en 10 points où figurent nos objectifs et nos attentes et cet accord a été conclu à la fin 2015. Cet accord précise entre autres que le groupe nordique doit présenter un candidat. C’est ce que nous avons fait au niveau européen en sélectionnant Mogens Blicher Bjerregård pour sa réélection à la tête de la FEJ et il a été élu. Le Suédois Jonas Nordling était prêt à concourir mais il a dû annuler sa participation au congrès. Du coup, il est dans la liste des candidats au Comité exécutif, mais le vote n’a pas encore eu lieu. »
« Juha n’a pas été élu comme trésorier, poursuit Werge. Avec le recul, je pense que la prochaine fois, nous devrons être plus pointus dans la préparation. » Et le président danois de se consoler en pensant à tout le travail qu’il pourra accomplir au Danemark dans son syndicat. À en juger par l’instructive lecture de ses commentaires Facebook, il n’y trouvera pas les traits culturels tellement désolants qu’il a si bien dénoncé chez les autres, – ceux qui n’ont pas la bénédiction d’être nés Nordiques – et qui, malheureusement, ne veulent pas comprendre que tant dans leur vote que leur façon de se comporter, ils devraient prendre exemple sur la rigueur nordique.
Comment, oui, comment, le reste du monde peut-il ne pas être Nordique ?
29ème congrès de la FIJ: Angers parachève la mue amorcée à Cadix
Par Olivier Da Lage
Pour le 90e anniversaire de la Fédération internationale des journalistes fondée à Paris en 1926, le SNJ avait proposé aux syndicats français de la FIJ d’organiser le congrès en France. Le SNJ-CGT a aussitôt répondu positivement, la CFDT-journalistes, pour des raisons qui lui sont propres, n’a pas souhaité se joindre à l’initiative. Le SNJ suggérait Angers, ville où il avait quelques années auparavant organisé son congrès et région d’origine d’Anthony Bellanger, alors à la tête du SNJ et désormais secrétaire général de la FIJ. Les contacts étaient encore tout chauds et la ville très désireuse de renouveler l’expérience avec la FIJ. Le montage du projet n’a connu aucune difficulté et le déroulement du congrès proprement dit non plus. Son financement était équilibré, ce que les résultats consolidés confirmeront sans aucun doute. Tous les participants ont loué l’organisation parfaite dont le mérite revient collectivement au secrétariat de la FIJ, à la ville d’Angers, mais aussi à tous les militants, notamment ceux du SNJ de la région angevine qui ont assuré un déroulement impeccable.
Une bonne organisation ne garantit pas nécessairement un bon congrès, mais elle y contribue fortement. Cela a été le cas.
Passons sur la première journée, qui a été l’occasion de revenir sur l’histoire de la Fédération et de se projeter dans l’avenir avant de rendre un hommage très émouvant à Camille Lepage, cette jeune photojournaliste angevine de 26 ans assassinée lors d’un reportage en RCA en mai 2014.
Finances : la méfiance des Nordiques
Le congrès proprement dit s’est ouvert sur le rapport du secrétaire général, qui y a associé Beth Costa, qui l’a précédé à ce poste durant la première moitié du terme séparant les deux congrès. Son rapport, remarquablement étayé, a été très bien reçu par les congressistes, à une réserve près : le président du syndicat danois, Lars Werge a exprimé la méfiance de son syndicat envers le fonds d’assistance, auquel les Danois ont cessé de contribuer dès le lendemain du congrès de Cadix (2010). À l’époque, la raison invoquée était que l’argent était thésaurisé et que la FIJ ne déboursait pas assez. Aujourd’hui, il lui est reproché un manque de transparence sur les débours. Lars Werge a laissé entendre que les financements reprendraient lorsque les doutes seraient levés. Ce à quoi Anthony Bellanger a vertement répliqué que son bureau était ouvert et qu’il suffit de demander pour obtenir toutes les réponses. Peut-être était-ce de la part de Werge un geste d’ouverture, mais son comportement, plutôt raide, donnait le sentiment du contraire. Il est vrai qu’à entendre certains Nordiques, comme lui-même, ou le Finlandais Juha Rekola (qui s’est – en vain – présenté au poste de trésorier), on a le sentiment que pour eux, tous les pays se trouvant au sud du Danemark sont composé au mieux d’incapables, au pire d’escrocs, et peut-être les deux simultanément. Manifestement, la confiance n’est pas (encore ?) au rendez-vous.
De même, plusieurs syndicats, notamment les Australiens, exigeaient des explications sur le changement de norme comptable, imposé par la loi belge, qui rendait impossible la comparaison entre les exercices récents et les précédents, et sur les causes du déficit enregistré à Dublin. La commission des finances, qui a entendu les organisateurs (le NUJ du Royaume-Uni et d’Irlande), le secrétaire général Anthony Bellanger, et qui a été informée des conséquences de la démission du secrétaire général adjoint de l’époque, du licenciement de la responsable des finances et de la confusion qui en a résulté, du fait que certaines délégations, comme celle du Nigeria, ont quitté Dublin en laissant de lourdes ardoises dans les hôtels, s’est montrée beaucoup plus compréhensive après ces explications et en a tiré la leçon que cela ne pouvait plus se reproduire. C’est d’ailleurs en tirant ces leçons que l’organisation du congrès d’Angers a été mise sur pied.
C’était le dernier mandat de Jim Boumelha en tant que président. À Dublin (2013), en se présentant, Jim avait indiqué que ce serait son troisième et dernier mandat. Son prédécesseur, l’Australien Chris Warren, avait également accompli trois mandats, soit neuf années de présidence. Mais les conditions de l’élection de Dublin avaient laissé à tous un goût amer car il y avait plus de bulletins que de votants. Pas assez pour remettre en cause l’élection de Boumelha d’ailleurs initialement reconnue par son concurrent malheureux, le Belge Philippe Leruth, mais cela suffisait à jeter un doute d’ensemble sur le congrès.
Certains syndicats ont arrêté de payer leurs cotisations, comme le DJV allemand ou l’AGJP de Belgique, aggravant par là même la crise financière de la FIJ qu’ils étaient les premiers à dénoncer. Mais si le DJV a persisté dans son refus de payer les cotisations et envisage à présent de quitter la FIJ (malgré l’opposition d’une importante minorité au sein de sa direction), l’AGJPB a payé ses arriérés à temps pour permettre à Philippe Leruth de se présenter à nouveau à la présidence. Du reste, à la veille du congrès, il était le seul candidat en lice, plusieurs autres candidats potentiels ayant déclaré forfait les mois (voire les jours) précédents. Finalement, quelques heures seulement avant l’heure limite du dépôt des candidats, le Brésilien Celso Schröder, soutenu par le groupe latino-américain, s’est également présenté.
Philippe Leruth, nouveau président de la FIJ
Mais face à une candidature préparée de longue date (pratiquement trois ans, en fait), son handicap était difficile à surmonter. Son discours de candidature ne l’y a pas aidé, dans la mesure où Schröder s’adressait manifestement davantage à un public de syndicalistes brésiliens qu’aux congressistes de la FIJ, contrairement à Leruth, qui, comme à son habitude, s’est exprimé dans les trois langues officielles de la Fédération (français, anglais et espagnol). Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que Philippe Leruth l’ait emporté, même si c’est avec une marge particulièrement étroite (sept voix, autrement dit seulement quatre votes !).
Son discours de victoire s’est voulu un discours de réconciliation, tirant un trait sur le passé.
Puis venaient les élections aux autres postes du comité administratif (la direction politique opérationnelle de la FIJ, pour faire simple). Le Marocain Younes Mjahed, premier vice-président sortant, se voyait opposer pour la première fois un concurrent en la personne du Zimbabwéen Foster Ndongozi. Younes a été brillamment réélu. Aux postes de vice-présidents ont été élus l’Indienne Sabina Inderjit et l’Allemand de Ver.di Joachim Kreibich. Enfin, au poste de trésorier se présentaient l’ex-président Jim Boumelha et le Finlandais Juha Rekola. Pour Rekola, qui promettait ni plus ni moins que de tout changer à la façon dont la Fédération avait été dirigée jusqu’alors, l’échec est cuisant. À une écrasante majorité, les congressistes lui ont préféré Jim Boumelha qui retrouve ainsi la fonction qu’il avait occupée de 2001 à 2007.
Arrivait enfin l’élection des « conseillers » (les autres membres du Comité exécutif de la FIJ). En ce qui me concernait, après neuf ans (trois mandats) inaugurés à Moscou en 2007, dont trois ans à la vice-présidence, je ne me représentais pas. C’est Dominique Pradalié, par ailleurs secrétaire générale du SNJ, qui a pris la suite et obtenu un score remarquable. Là encore, presque tous les élus sont des proches de Jim Boumelha, ce qui donne à ces élections une saveur particulière. Pour Philippe Leruth, c’est incontestablement une revanche sur le scrutin de Dublin dans lequel il avait perdu face à Boumelha, mais la quasi-totalité de la direction élue est composée de partisans de ce dernier qui partagent avec lui sa conception de la FIJ. Cette situation ne laisse au nouveau président (qui s’est engagé à n’exercer qu’un seul mandat) qu’une seule option, celle de la réconciliation. Par bonheur, c’est ce qu’il a annoncé.
Les syndicats asiatiques s’émancipent de la tutelle de Sydney
Le vote des motions est un rituel souvent convenu mais indispensable de tout congrès. La plupart sont des motions de solidarité qui ne posent aucun problème, à tel point qu’il faut parfois s’y arrêter pour mesurer les drames vécus par nos confrères sous d’autres latitudes. La situation des journalistes yéménites a particulièrement ému les congressistes d’Angers. Quelques motions, cependant, ont polarisé les débats et nulle autre davantage que celle présentée par le NUJ britannique sur la nécessité de placer les ensembles continentaux (appelés « groupes régionaux » dans les statuts) sous le contrôle du Comité exécutif. Ces régions ont en effet vu leur rôle et leurs pouvoirs augmenter continûment depuis plusieurs années, au point que parfois, certaines se comportent comme des mini-FIJ en concurrence avec la Fédération. Comme il était prévisible, les responsables de ces régions étaient pour la plupart vent debout contre cette proposition. Un premier vote à main levée a donné, selon le présidium qui dirigeait les débats, une courte majorité pour rejeter la résolution. Mais une demande de vote par mandat a donné lieu à un second décompte, cette fois nettement favorable à la résolution. Cela a mis en fureur les opposants au texte qui ont demandé que soit mise en œuvre la troisième disposition : le vote par pays : chaque pays est appelé par ordre alphabétique et annonce son vote ainsi que le nombre de voix dont il dispose. Et au cours de ce vote, un phénomène entièrement nouveau est apparu : la quasi-totalité des pays asiatiques ont voté « pour », ce qui représentait un geste de défiance inédit à l’encontre du bureau de Sydney, dirigé depuis de nombreuses années par le couple australien Christopher Warren et son épouse Jacqui Park. Les manœuvres d’intimidation (menace de couper des subventions) qui ont eu lieu entre les deux derniers votes ne sont pas parvenues à inverser le vote des Asiatiques. S’il ne fallait retenir qu’un seul événement dans ce congrès d’Angers, c’est sans hésiter celui-ci que je considérerais comme le plus important, et de loin.
Du reste, le pouvoir de Chris Warren s’étiole même au sein de son syndicat qu’il a dirigé d’une main de fer pendant plus de 25 ans, au point que pour pouvoir participer à ce congrès d’Angers, ayant échoué à se faire désigner par son propre syndicat, il a dû obtenir des Néo-Zélandais d’être leur délégué !
Au final, le congrès d’Angers aura, contre toute attente, été un congrès apaisé, de réconciliation. Mais sans renier pour autant l’œuvre accomplie depuis Cadix. C’est en fait l’aboutissement d’une mue très importante entamée alors visant à rendre aux pays autres que le petit club de riches syndicats du Nord leur mot à dire au sein de la Fédération. Il a fallu six ans pour y parvenir. On y est presque.
Ce compte rendu apparaîtra peut être à certains comme trop politicien. Que fait donc la FIJ lorsqu’elle ne consacre pas toute son énergie à des disputes internes ? Beaucoup, en fait. Grâce à ses syndicats membres, aux bureaux régionaux et au secrétariat désormais dirigé à Bruxelles par Anthony Bellanger, secondé par le Britannique Jeremy Dear. Formation à la sécurité, assistance d’urgence aux journalistes en péril, lobbying auprès des grandes institutions internationales pour défendre les droits des journalistes, etc. Tout ceci se retrouve au quotidien sur le site de la FIJ.
Ce que je viens de dépeindre, en revanche, ne s’y trouvera pas. Et c’est aussi bien comme ça.
Lire également :
Pauco Audije : Congreso mundial de la FIP en Angers : un encuentro positivo
Tim Dawson : World reports : IFJ Congress 2016
Protection des sources journalistiques : multirécidiviste, la France à nouveau condamnée
C’était couru d’avance. Tout le monde savait, dès le premier jour, que la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) condamnerait un jour la France pour la violation des sources journalistiques lors de la perquisition des rédactions de l’Équipe et du Point et les saisies effectuées le 13 janvier 2005. Il s’agissait pour les juges d’instruction et les enquêteurs de trouver la source des procès verbaux d’instruction dans l’affaire de dopage de l’équipe Cofidis. Bref, une violation du secret des sources journalistiques de la plus belle eau.
Cela n’a pas empêché le système judiciaire français de blanchir ces magistrats à tous les échelons, cour d’appel et cour de cassation incluses, en refusant d’admettre que l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CSDH) avait été violé. L’ensemble des recours en droit interne ayant été épuisés, les journalistes concernés, ainsi que le SNJ et la Fédération internationale des journalistes (FIJ), se sont pourvus devant la Cour européenne des droits de l’Homme.
Comme on l’a dit plus haut, le résultat ne faisait aucun doute, la CEDH s’étant déjà prononcée à de nombreuses reprises sur la protection de leurs sources due aux journalistes en vertu de ce fameux article 10 de la CSDH de puis son fameux arrêt Goodwin de mars 1996. Sauf à se déjuger complètement, la Cour ne pouvait que confirmer son abondante jurisprudence. Cependant, les magistrats de Strasbourg ne se contentent pas de copier-coller leurs arrêts précédents. Dans chaque affaire qui lui est soumise, La Cour européenne des droits de l’Homme précise, affine, enrichit et étend sa jurisprudence.
Dans l’affaire Cofidis, les juges de Strasbourg, comme il est de coutume, retrace le parcours judiciaire de l’affaire, mais note également que depuis lors, la loi française est venue renforcer la protection des sources journalistiques par la loi du 4 janvier 2010. Ils rappellent les principes désormais bien établis posés par la Cour dans leurs décisions précédentes, à savoir que :
- « La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et les garanties à accorder à la presse revêtent une importance particulière » ;
- « La protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse. L’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général. En conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de « chien de garde », et son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s’en trouver amoindrie » ;
- « si elle ne doit pas franchir certaines limites, tenant notamment à la protection de la réputation et aux droits d’autrui ainsi qu’à la nécessité d’empêcher la divulgation d’informations confidentielles, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et idées sur toutes les questions d’intérêt général »
- « l’importance du rôle des médias dans le domaine de la justice pénale est très largement reconnue » ;
Mais après, ce rappel, elle se penche sur l’affaire proprement dite et l’examine pour déterminer, au regard de l’article 10, si les « ingérences » apportées à leur liberté était « légitime » et « proportionnelle au but recherché ». Et là, les arguments du gouvernement français n’ont pas convaincu les magistrats européens :
- « La Cour observe d’emblée que le thème des articles publiés, le dopage dans le sport professionnel, en l’occurrence le cyclisme, et donc les problèmes de santé publique en découlant, concernait un débat qui était d’un intérêt public très important. Elle rappelle que l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou des questions d’intérêt général ».
- « Au moment où les perquisitions et les interceptions téléphoniques litigieuses eurent lieu, il est évident qu’elles avaient pour seul but de révéler la provenance des informations relatées par les requérants dans leurs articles (…) Ces informations tombaient ainsi, à n’en pas douter, dans le domaine de la protection des sources journalistiques. » ;
- « La Cour souligne que le droit des journalistes de taire leurs sources ne saurait être considéré comme un simple privilège qui leur serait accordé ou retiré en fonction de la licéité ou de l’illicéité des sources, mais un véritable attribut du droit à l’information, à traiter avec la plus grande circonspection. Cela vaut encore plus en l’espèce, où les requérants traitaient d’un problème de santé publique et ne furent finalement pas condamnés ».
Ce dernier point est nouveau et particulièrement important : la protection des sources est un attribut du droit à l’information, certes, à manier avec précaution, mais qui n’a rien à voir avec la nature de la source elle-même. C’est sans doute là la plus belle définition de la notion de source journalistique que l’on doit à la Cour de Strasbourg depuis qu’elle a commencé à se pencher sur la question. Enfin, les magistrats de la CEDH concluent que le gouvernement n’a pas apporté la preuve qu’il y avait en la matière un impératif prépondérant d’intérêt public justifiant les mesures prises, qui, de ce fait, étaient disproportionnées.
On retrouve là une constance de la CEDH : le principe de proportionnalité. De même que les journalistes ne bénéficient pas d’un droit absolu à la protection de leurs sources (il faut qu’ils en usent « avec la plus grande circonspection », uniquement dans les cas pouvant le justifier, comme sur un sujet délicat d’intérêt social impérieux), de façon symétrique, les autorités ne peuvent invoquer la nécessaire « ingérence » dans la liberté du journaliste que si des raisons supérieures valables le justifient. Ce n’était pas le cas en l’espèce, s’agissant d’une affaire dont l’un des magistrats instructeurs français avait reconnu lui-même qu’elle n’était pas prioritaire et la Cour ne pouvait faire autrement que d’en arriver à la conclusion que « que les mesures litigieuses ne représentaient pas des moyens raisonnablement proportionnés à la poursuite des buts légitimes visés compte tenu de l’intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté de la presse. Il y a donc eu violation de l’article 10 de la Convention. »
Olivier Da Lage
La commission arbitrale gravée dans le marbre par le Conseil constitutionnel
Pour les fédérations d’éditeurs, c’est la consternation. Pour les journalistes c’est un soulagement. Le Conseil constitutionnel vient en effet de déclarer la commission arbitrale des journalistes conforme à la constitution.
La commission arbitrale est une juridiction exorbitante du droit commun qui est obligatoirement saisie et seule compétente pour fixer les indemnités de licenciement des journalistes ayant plus de quinze ans d’ancienneté. Elle doit également être saisie lorsqu’il y a faute grave ou faute lourde. Cette commission, paritaire, est composée à égalité d’arbitres désignés par les organisations syndicales de journalistes et par les organisations professionnelles d’éditeurs. Elle est présidée par un haut fonctionnaire ou un magistrat choisi d’un commun accord.
Ce qui insupporte nombre d’éditeurs est que, d’une part, cette commission a pour habitude d’attribuer des indemnités de licenciement sensiblement supérieures à celles qui seraient allouées par un conseil des prud’hommes, et d’autre part, que ces décisions sont exécutoires immédiatement et ne sont pas susceptibles d’appel. C’est pourquoi, depuis une vingtaine d’années, les fédérations patronales de la presse ont entamé un lobbying insistant auprès des pouvoirs publics et des parlementaires afin de supprimer purement et simplement la commission arbitrale.
Le problème est que cette institution est la clé de voûte du statut professionnel des journalistes institué par la loi du 29 mars 1935 qui comprend notamment la fameuse clause de conscience. Or les indemnités élevées que peuvent toucher des journalistes avec beaucoup d’ancienneté lorsqu’ils sont licenciés, ou lorsqu’ils font jouer la clause de conscience, sont justifiées par la nécessité de disposer de moyens suffisants pour retrouver un emploi conforme à leurs principes professionnels puisque c’est justement là le fondement de la clause de conscience. Si celle-ci est rarement mise en œuvre, il n’en est pas de même de la clause de cession qui obéit aux mêmes règles, mais qui trouve à s’appliquer lorsqu’un journal change de propriétaire. Et la multiplication des concentrations des cessions et des plans sociaux fait que le recours à la commission arbitrale s’est de fait multiplié au cours des dernières années.
La contre-offensive des syndicats de journalistes et la prudence des pouvoirs politiques dès lors qu’il s’agit de la presse avaient jusqu’à présent empêché les éditeurs de parvenir à leurs fins. Mais la révision constitutionnelle de 2008, en introduisant la QPC (question prioritaire de constitutionnalité), leur a présenté une nouvelle opportunité. C’est ainsi que deux publications, L’Yonne Républicaine et Marie-Claire, ont saisi le Conseil constitutionnel afin qu’il déclare que la commission arbitrale des journalistes était contraire aux principes constitutionnels en introduisant une rupture d’égalité entre les journalistes et ceux qui ne sont pas, entre les journalistes ayant plus quinze ans d’ancienneté et les autres, et enfin en privant les éditeurs d’un recours juridictionnel contre les décisions de la commission arbitrale puisque celles-ci ne peuvent être frappées d’appel.
L’audience qui s’est tenue devant les neuf Sages de la rue Montpensier le 26 avril dernier représentait donc un enjeu capital tant pour les éditeurs que pour les journalistes. Si les articles du Code du travail instituant la commission arbitrale étaient déclarés contraires à la constitution, c’est le cœur même du statut du journaliste qui aurait d’un coup disparu. En revanche, que le Conseil constitutionnel valide le statut de 1935 et ce n’est pas un simple retour au statu quo ante qui prévaudrait. En effet, le simple fait pour le Conseil d’affirmer la constitutionnalité de la commission arbitrale et son caractère obligatoire se transforme en arme redoutable entre les mains des journalistes licenciés ou en clause de cession confrontés à leurs employeurs qui, de plus en plus souvent, tentent de leur faire signer des clauses de renonciation à la commission arbitrale. Le plus beau, dans cette décision, est justement que le Conseil constitutionnel rappelle le caractère obligatoire de la saisine de la commission arbitrale dans les cas prévus par la loi !
L’initiative de cette QPC revenait aux éditeurs, mais pour eux comme pour les syndicats de journalistes, c’était quitte ou double. Les éditeurs qui ont tout misé sur cette QPC en attendaient beaucoup d’économies. Au final ils auront beaucoup perdu.
Olivier Da Lage
Impératif prépondérant d’intérêt public
Ainsi, le procureur Courroye a bien violé la loi du 4 janvier 2010 en demandant à la police de surveiller les fadettes de deux journalistes du Monde.
Ses défenseurs ont eu beau affirmer qu’il ne s’agissait pas de connaître le contenu des conversations, d’invoquer une loi précédente votée à une époque où les « fadettes » (facturations détaillées) n’existaient pas, prétendre que la recherche d’une fuite émanant des plus hautes sphères de la Chancellerie justifiait la recherche de la fuite à tout prix, rien n’y a fait : les magistrats de la Cour de cassation n’ont pas été convaincus par les arguments du procureur de Nanterre selon lesquels la communication des fadettes se justifiait par un « impératif prépondérant d’intérêt public », seule exception posée par la loi du 4 janvier 2010 à la protection des sources des journalistes.
Pour la Cour de Cassation, en effet, « l’atteinte portée au secret des sources des journalistes n’était pas justifiée par l’existence d’un impératif prépondérant d’intérêt public et la mesure n’était pas strictement nécessaire et proportionnée au but légitime poursuivi », en rejetant le pourvoi formé par Liliane Bettencourt et ses avocats.
Dans des déclarations publiées le 1er octobre par Le Monde, Philippe Courroye avait balayé les objections en affirmant entre autres que la loi du 4 janvier 2010 ne comportait pas de sanctions (sous-entendu : ce n’est pas si grave que cela si elle est violée) et que, tout au plus, la partie de la procédure concernée risquait d’être annulée. C’est très précisément ce que vient de décider la Cour de Cassation, confirmant l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux. Certes, le procureur de Nanterre ne risquait ni la prison, ni une amende. Mais des mois de travail de ses services et de ceux de la police nationale viennent d’être réduits en cendres parce que Courroye a considéré comme facultatives les prescriptions de la loi qui venait tout juste d’être votée pour garantir le respect des sources des journalistes. C’est à mon avis pour les intéressés une sanction plus lourde que quinze jours de prison ou 2 000 euros d’amendes. Professionnellement, c’est une humiliation publique comme aucun magistrat ne souhaite en rencontrer dans sa carrière. On peut également supposer que les services de police qui ont travaillé en pure perte pour cette enquête illégale se montreront plus précautionneux et demanderont davantage de garanties la prochaine fois qu’une requête similaire leur sera transmise par le Parquet.
Ce n’est probablement pas la dernière fois que des procureurs ou des juges d’instruction seront tentés de trouver la réponse à leurs questions d’enquêteurs en choisissant le raccourci consistant à espionner les journalistes, mais on peut supposer que si, l’une après l’autre, leurs investigations sont annulées, les comportements finiront par changer.
Évidemment, on aurait aimé que la Cour de cassation ait le pouvoir d’infliger à Philippe Courroye des travaux d’intérêt général, ou, comme à l’école, qu’il recopie des lignes, par exemple le texte de la loi du 4 janvier 2010 protégeant les sources des journalistes en général, et de ceux qu’il a fait espionner en particulier.
Olivier Da Lage
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Obtenir sa carte de presse et la conserver
La nouvelle édition de mon livre sur la carte de presse est en librairie début septembre. La première datait de 2003 et certaines données étaient devenues obsolètes.
Il s’agit d’une édition largement refondue, pour tenir compte en particulier de la recodification du Code du travail qui a substantiellement modifié les articles concernant les journalistes, et notamment, bien sûr leur numérotation.
Différents passages ont été ajoutés ou modifiés pour tenir compte des situations nouvelles rencontrées par la Commission de la carte, comme la création d’un statut de l’entreprise de presse en ligne ou l’apparition du statut d’autoentrepreneur.
On y trouve également les statistiques les plus récentes sur l’attribution des cartes de presse et la structure de la profession.
Déontologie : Jean-François Mancel invente l’Ordre des journalistes
Avec un sens aigu de l’opportunité (actualité britannique et creux estival), le député de l’Oise (et ex-secrétaire général du RPR) Jean-François Mancel vient de déposer une proposition de loi visant à instituer un conseil de presse et un code de déontologie.
En soi, cette double proposition n’est pas exagérément originale. Elle est, par exemple, au cœur de la démarche de l’APCP, l’Association de préfiguration d’un conseil de presse en France. Pourtant, le texte déposé par Mancel mérite quelques observations particulières.
En premier lieu, dans l’exposé des motifs, le député de l’Oise fait référence aux exemples étrangers et cite pour commencer le conseil de presse britannique. On a vu ici comment, avec le bras droit de Rupert Murdoch à la tête du comité d’éthique et l’un de ses hommes clés siégeant en son sein, la Press Complaints Commission avait lamentablement échoué à enrayer les dérives déontologiques des tabloïds, qu’ils appartiennent à Murdoch ou non.
En ce qui concerne sa composition, Jean-François Mancel prévoit une représentation tripartite : journalistes, éditeurs et société civile. C’est là que ça se corse. Car selon le quatrième alinéa de l’article 2 de cette proposition de loi, le conseil comprend « sept membres représentant la société civile, extérieurs aux métiers du journalisme et de l’édition, ayant répondu à un appel à candidature et sélectionnés par un comité dont la composition sera fixée par décret et après avis des commissions parlementaires compétentes ». Vu que les décrets, par définition, sont pris par le gouvernement et que les commissions parlementaires reflètent la majorité du moment, ce n’est pas beaucoup s’avancer que d’affirmer que les « représentants de la société civile » seront, dans la pratique, choisis par le pouvoir. Au temps pour l’objectif affiché dans l’exposé des motifs de conserver au conseil l’indépendance à l’égard du pouvoir politique !
Cette volonté de mise sous tutelle est d’autant plus évidente à la lecture de l’alinéa 7 du même article, qui prévoit qu’« est adjoint au comité exécutif du conseil national de déontologie journalistique avec voix consultative un représentant du ministère de la culture et de la communication ». Non seulement un représentant du ministère siégerait dans cet organisme, mais il aurait une voix consultative.
Résumons-nous : l’État nomme un tiers des membres du Conseil national de déontologie, mais de plus, il rajoute à la liste un haut fonctionnaire qui prend part aux votes. Si ce n’est pas le retour au ministère de l’Information, cela y ressemble diantrement.
La base de travail du Conseil sera un code de déontologie (article 7) dont la rédaction est confiée à des professionnels, sous l’égide du Conseil. L’article 8 précise qu’une fois rédigé, le Code sera édicté sous la forme d’un décret en conseil d’État. Arrêtons-nous quelques instants sur ces deux points. Dans son exposé des motifs, Jean-François Mancel justifiait le dépôt de sa proposition par l’échec du groupe animé par Bruno Frappat à fédérer l’ensemble de la profession autour de son texte. Qu’est-ce qui fait croire au député que son futur code ne rencontrera pas le même problème ? Et si blocage il y a, son projet ne dit rien de la façon de le résoudre. En revanche, le Code a vocation à être traduit en décret (« édicté », précise le texte, par référence aux édits, ces décrets de l’Ancien Régime) ce qui en ferait un code de déontologie d’État !
Enfin, car Jean-François Mancel a songé à tout, et notamment au financement de ce Conseil de déontologie, éditeurs et journalistes seront d’office membres de ce conseil et par conséquent, verseront obligatoirement une contribution sous la forme d’une cotisation annuelle fixe obligatoire.
Chez les médecins, les architectes ou les avocats, cela ne se passe pas autrement : on appelle cela un Ordre.
Olivier Da Lage
Régulation des médias : la faillite du Conseil de presse britannique
Ce qui était au départ le scandale des écoutes de News of the World évolue chaque jour davantage en crise majeure de la presse, de la politique et du fonctionnement des institutions britanniques : affaire d’État avec les révélations des liens étroits entre Rupert Murdoch et le gouvernement conservateur au pouvoir (mais aussi avant elle, l’équipe des néo-travaillistes de Tony Blair), la corruption aux échelons les plus élevés de l’élite de la police londonienne Scotland Yard, le fonctionnement de la gutter press (les tabloïdes) et son absence totale de scrupules et de déontologie (mais ça, ce n’est pas une nouveauté). Et enfin, l’échec de l’autorégulation de la presse à la mode britannique. C’est sur ce dernier point que je vais m’attarder dans ce billet.
Au Royaume-Uni, le dispositif encadrant la presse est très léger. Certes, les lois punissant la diffamation (libel) sont très strictes, et les sanctions financières très lourdes, mais il n’existe par exemple aucun équivalent outre-Manche de l’article 9 du Code civil français, socle juridique de la protection de la vie privée. D’un côté, le consensus britannique est qu’un personnage public n’a pas droit à une vie privée, de l’autre, les éditeurs ont érigé un organisme censé réguler la presse écrite pour en éviter les excès, et surtout, se prémunir d’une intervention du Législateur dans ce domaine délicat. Cet organisme est la Press Complaints Commission, instituée au début des années 90 qui a pris la suite du Press Council, fondé en 1953 et dont l’objectif était d’établir et de faire respecter des critères élevés en matière de déontologie de la presse. A l’usage, l’efficacité du Conseil de presse ayant été mise en défaut par les pratiques de la presse de caniveau, les éditeurs lui ont substitué la Press Complaints Commission dont l’une des premières tâches a été de se doter d’un Code de conduite, rédigé par le Editor’s Code of Practice Committee,
La PCC, qui traite annuellement plusieurs milliers de plaintes émanant du public, vérifie si les faits allégués violent le Code et si tel est le cas, suggère au journal fautif de rectifier l’information et, le cas échéant, rend public son avis. Il n’entre pas dans sa compétence de prendre des sanctions, financières ou autres, contre le journal ou le journaliste.
La PCC, au même titre que le conseil de presse du Québec ou que son équivalent suisse, est fréquemment cité par les adeptes français de l’instauration d’un conseil de presse, notamment les membres de l’APCP, l’Association préfiguratrice d’un conseil de presse.
Pourtant, dans l’affaire du News of the World, il est patent que l’autorégulation a échoué. En mai 2007, lors de la première enquête sur les écoutes, la conclusion de la Press Complaints Commission est qu’il n’existe aucune preuve démontrant que quiconque, au sein du journal, était au courant des écoutes de téléphones portables en dehors de Clive Goodman, le responsable éditorial des affaires royales et de Glenn Mulcaire, le détective privé avec lequel il travaillait (tous deux ayant été condamnés à de la prison ferme pour ces pratiques).
Cette absence de curiosité, qui a pour pendant celle de Scotland Yard à la même époque (mais ce n’est pas le sujet ici) se comprend mieux si l’on veut bien se rappeler que le comité chargé de l’éthique de la PCC était présidé par Les Hinton, l’un des plus proches collaborateurs de Rupert Murdoch (il a commencé à travailler pour lui à l’âge de 15 ans à Adelaide, en Australie et cinquante ans plus tard, lors de sa démission, il était le patron du Wall Street Journal) et que parmi ses membres figurait Neil Wallis, arrêté dans l’affaire des écoutes et qui est passé de News of the World à la direction de la communication de Scotland Yard en plein scandale des écoute, tout en continuant d’informer la direction du groupe Murdoch sur ce qui se disait à Scotland Yard. Bref, l’expression « conflit d’intérêts » est très au-dessous de la vérité pour décrire la situation.
Même si l’on admet que tous les membres de la PCC n’étaient pas compromis aussi activement dans la protection du groupe Murdoch, force est de constater qu’en tant qu’institution, la Press Complaints Commission a lamentablement failli à sa tâche.
Si l’on en croit les intentions affichées par plusieurs responsables politiques britanniques, comme le Press Council vingt ans auparavant, le PCC a fait son temps et des changements importants sont à venir en Grande Bretagne en ce qui concerne la régulation des médias.
Pour nous Français, ce débat a des implications directes. Une partie (mais une partie seulement) des membres du groupe mis en place par Bruno Frappat pour rédiger un Code de déontologie estime que ce texte ne vaut que par la mise en place d’un conseil de presse, sur le modèle des exemples étrangers et notamment britannique.
Est-ce à dire que d’autres pistes seraient plus efficaces ? Pas nécessairement. Mais preuve est faite désormais que la formule « conseil de presse » ne peut, à elle seule, répondre aux dérives déontologiques déplorées de ce côté-ci de la Manche. Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain et écarter l’idée même d’un conseil de presse ? Probablement pas. Mais l’on sait désormais les limites d’un tel exercice. Au mieux, un conseil de presse ne sera que l’un des éléments d’une solution. Certainement pas « la » solution.
Olivier Da Lage
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Déontologie: le groupe Frappat jette l’éponge
Déontologie : le groupe Frappat jette l’éponge
Dans un communiqué publié au nom du groupe des « Sages » qu’il animait, Bruno Frappat vient d’annoncer que ce groupe mettait fin à ses travaux, ayant accompli sa mission.
Membre de ce groupe, je suis solidaire de ce communiqué que j’ai approuvé. La vérité oblige néanmoins à préciser que la mission n’a pas permis d’atteindre son but : un code de déontologie partagé par les éditeurs et les syndicats de journalistes et annexé à la convention collective. Tels étaient en effet les paramètres de départ de nos travaux, tels qu’ils résultaient des États généraux de la presse écrite en 2008, et notamment du pôle que présidait, justement, Bruno Frappat.
Ce groupe avait tout pour réussir : réunissant des éditeurs, des syndicalistes, des juristes et des enseignants, représentant différentes formes de presse et une grande pluralité d’opinions, ses membres se sont dit que si le consensus pouvait se faire entre nous, il n’était pas hors de portée à l’échelle de la profession.
De fait, s’il y a eu quelques échanges un peu tendus, notamment sur la chaîne rédactionnelle, l’accord s’est fait assez rapidement et de façon beaucoup plus naturelle que prévue sur un texte qui avait vocation à être soumis à la profession pour être endossé collectivement après discussion et d’éventuelles modifications.
A tort ou à raison, nous étions convaincus d’avoir atteint le point d’équilibre autour duquel tournerait tout texte, quel qu’il soit, dès lors qu’il serait susceptible de faire l’objet d’un accord entre éditeurs et journalistes.
Nous nous trompions grandement ! Car ce n’est tellement sur le texte lui-même qu’ont porté les coups, mais sur le dispositif. Soupçonneux d’emblée, les syndicats de journalistes voyaient avec méfiance apparaître ce « Code de déontologie » où il n’était question que de devoirs et non de droits. Mon propre syndicat, le SNJ, n’a pas été le moins sévère en rejetant massivement le « Code Frappat » lors de son comité national d’avril 2010, tout en lui reconnaissant le mérite d’exister. La principale critique entendue porte sur le fait que le journaliste, et seulement lui, porterait sur ses épaules la responsabilité d’une faute alors qu’il est pris dans un système hiérarchique contraignant. Critique injuste, à mon sens, dans la mesure ou ce point, qui avait fait l’objet d’âpres débats au sein de la commission des « Sages », avait été pris en compte dans le texte en énonçant dès les deux premiers paragraphes :
1-1 Le journaliste a pour fonction de rechercher, pour le public, des informations, de les vérifier, de les situer dans un contexte, de les hiérarchiser, de les mettre en forme, et éventuellement de les commenter, afin de les diffuser, sous toute forme et sur tout support.
1-2 Il le fait, au sein d’une équipe rédactionnelle, sous l’autorité de la direction de la rédaction et la responsabilité du directeur de la publication, dans le cadre d’une politique éditoriale définie.
Ce dernier paragraphe me semblait dépourvu d’ambiguïté quant à la responsabilité de la rédaction en chef et de la direction de la publication, mais je n’ai pas réussi à convaincre.
Cela dit, le principal problème était ailleurs : le refus viscéral des éditeurs d’accepter qu’un texte de portée déontologique, quel qu’il soit, puisse être intégré à la convention collective et que des différents éthiques puissent être tranchés par les prud’hommes. Cette position intransigeante s’est heurtée frontalement à une exigence tout aussi forte des syndicats de journalistes qui ne pouvaient envisager d’abandonner les chartes existantes (SNJ, Munich) qu’à la condition expresse que le nouveau texte engage de façon contraignante les éditeurs, ceci passant par son annexion à la convention collective.
Du reste, moins les éditeurs étaient prêts à un compromis sur ce point, plus ils proclamaient leur adhésion au texte du groupe Frappat. Certains éditeurs l’ont immédiatement adopté et fait leur, sans modification. D’autres l’ont légèrement adapté. D’autres encore ont fait savoir qu’il constituait une base acceptable. Aucun ne voulait, cependant, accepter l’idée d’une négociation avec les syndicats de journalistes car, pour divisées qu’elles soient, les fédérations d’éditeurs sont unies sur un point : l’éditeur étant responsable de la publication, c’est à lui, et à lui seul qu’incombe la décision en matière déontologique. Une position naturellement inacceptable pour les journalistes et leurs syndicats qui, depuis près d’un siècle, ont défini leur identité professionnelle sur la défense de principe déontologiques.
En somme, rien de significatif n’oppose journalistes et éditeurs sur les questions déontologiques. C’est le paritarisme qui est en cause : avec une obstination qui tient de l’aveuglement, nombre d’éditeurs ne veulent plus rien partager avec les journalistes, même lorsqu’ils sont d’accord. En d’autres temps (les années 30), l’un d’entre eux, Maurice Bunau-Varilla, directeur du Matin, l’avait fort clairement signifié : « Au Matin, il n’y a pas de journalistes, il n’y a que des employés ». Comment oseraient-ils prétendre partager avec leur maître des préoccupations déontologiques ?
Passez, manants. Le directeur veille.
Ou pas. C’est tout le problème.
Olivier Da Lage
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