Le Blog d'Olivier Da Lage

Yémen : guerre nouvelle, ressorts anciens

Posted in Moyen-Orient by odalage on 10 novembre 2009

« Le bonheur du royaume réside dans le malheur du Yémen », aurait déclaré Ibn Saoud, le fondateur de l’Arabie saoudite à ses fils rassemblés autour de son lit de mort en 1953. Authentique ou apocryphe, l’anecdote est répétée avec gourmandise par les Yéménites de toute condition, pour souligner la crainte qu’inspire ce pays beaucoup plus pauvre que son grand voisin, mais aussi peuplé.

Aussi n’y a-t-il rien d’étonnant à voir l’aviation saoudienne intervenir militairement contre les rebelles « houthistes » dans la zone frontalière de Saada en invoquant une « stratégie iranienne » pour justifier son action. Une intervention qui rappelle un précédent fâcheux : l’intervention saoudienne aux côtés des royalistes yéménites après la révolution de 1962. Cela n’a laissé de bons souvenir ni aux Yéménites, ni aux Saoudiens. Ces derniers ont dû se résigner à l’existence d’une république à leur flanc sud, tout en intervenant activement pour déstabiliser son gouvernement par le financement des tribus.

L’un de leurs partenaires et client traditionnel était le cheikh Abdallah Al Ahmar, chef de la puissante confédération tribale des Hached, dominante au nord du Yémen, et notamment dans la zone de Saada. Quelques rappels pour fixer les idées : Abdallah Al Ahmar, bien que conservateur, est toujours resté républicain et son soutien a été décisif dans le succès des républicains face aux royalistes lors de la guerre de 1962 et par la suite ; Abdallah Al Ahmar a toujours su accepter les prébendes saoudiennes sans devenir un agent saoudien ; il a longtemps présidé le parlement et son parti, Al Islah. Un parti islamiste, mais dont il représentait l’aile pragmatique. Enfin, le président Ali Abdallah Saleh, arrivé au pouvoir par un coup d’État militaire en 1978, appartient à cette même confédération tribale des Hached –il est apparenté au clan Al Ahmar– et ne peut véritablement gouverner contre elle.

C’est dans ce contexte qu’il faut lire la passionnante interview accordée à Gilles Paris dans le Monde (daté du mercredi 11 novembre) par son fils, Hamid Ben Abdallah Al Ahmar. Il n’a que 40 ans, mais auréolé de la puissance que lui confère son héritage tribal, il peut impunément critiquer le chef de l’État, une liberté de ton qui par le passé, a coûté la vie, la liberté ou la santé à nombre d’autres politiciens yéménites : « le Yémen mérite mieux » qu’un régime « devenu source de danger », ose-t-il affirmer.

Déclaration d’opposition ou simple rappel au président yéménite qu’il doit compter avec les tribus ? L’avenir le dira. Ce qui est certain, c’est que l’État ne contrôle rien hors des grandes villes et des axes principaux. En 1992, me rendant en taxi à Saada en compagnie de Rémy Leveau, je me rappelle avoir demandé au chauffeur, peu avant d’arriver dans la localité, ce qu’était cette grande bâtisse blanche, à l’écart de la route. C’était en fait une caserne militaire. Mais la réponse du chauffeur de taxi, donnée dans un grand éclat de rire, mérite d’être méditée : « ça, c’est le gouvernement ! », sous-entendant que le pouvoir ne contrôlait rien en dehors de l’enceinte de l’édifice.

La suite ne lui a pas donné tort.

Olivier Da Lage

Voir aussi :

Les rêves brisés de l’unité yéménite (Le Monde diplomatique, juillet 1994)

Le Yémen entre démocratisation et guerre civile (Revue Défense Nationale, février 1993)

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